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cet incident franco-prussien qui est devenu instantanément l’unique, l’irritante préoccupation des esprits, qui, après avoir tenu quelques jours la chambre dans une fièvre d’attente et d’impatience, va retentir maintenant en débats parlementaires, — et à travers tout cela vient le budget, le premier budget préparé sous le nouveau régime ! Il est certain qu’il y a des momens où les chiffres manquent tout à fait d’éloquence, et n’ont pas le don de parler à l’imagination. Avec la meilleure volonté, les orateurs les plus instruits se sentent impuissans à ramener l’attention distraite d’une assemblée sur des affaires de finances. Allez donc parler du système des viremens, des inconvéniens des crédits supplémentaires, du fonds commun ou même de l’équilibre du budget, lorsqu’on est à interroger le télégraphe, à se demander si d’une heure à l’autre la guerre n’aura pas éclaté, et si le pays, sans s’inquiéter de tous les calculs d’une commission laborieuse, ne sera pas obligé de tendre tous les ressorts de sa puissance militaire et financière ! Une assemblée a besoin de plus de liberté d’esprit et de sang-froid que n’en avait le corps législatif ces jours passés pour entrer dans l’examen de toutes ces questions complexes, pratiques, quelquefois obscures et toujours difficiles, qui expriment et résument une situation économique. Aussi voit-on les débats se succéder sans exciter un intérêt bien vif. On parle et on vote, on n’écoute guère, et on ne fait pas surtout une véritable loi de finances. C’est pourtant fâcheux. La commission nommée cette année pour le budget s’est livrée à l’étude la plus soigneuse, la plus attentive de nos finances, elle a fait en conscience une œuvre difficile, et l’organe, l’orateur principal de cette commission, M. Chesnelong, a écrit un rapport remarquable d’intelligence et de lucidité. Si les circonstances avaient été plus favorables, s’il avait pu y avoir une discussion plus suivie, moins cahotée, c’eût été le moment d’aborder les questions financières, qui ne sont certes pas les moins sérieuses aujourd’hui. Un budget, c’est après tout le résumé de la vie d’un pays pour qui sait en pénétrer les secrets, et l’essentiel est moins d’y jeter pêle-mêle une multitude d’amendemens comme on le fait depuis quelques jours que d’y faire entrer un esprit supérieur d’ordre, d’économie intelligente et de régularité féconde.

P. S. C’est la paix entre la France et la Prusse qui a semblé l’emporter ces jours derniers ; de nouveau maintenant le vent tourne à la guerre. La dernière difficulté à surmonter semblerait devoir être le dernier écueil. Il s’agirait des garanties qu’on demande au souverain de la Prusse, et sur lesquelles le roi Guillaume refuserait de s’expliquer. Au moment suprême, l’esprit du vieux roi ne se laissera-t-il pas ébranler ? Telle est la question qui reste encore en suspens.

Ch. de Mazade.

C. Buloz.