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de la paix » dont parlait M. Émile Ollivier, qui n’en sait peut-être rien, — trop irrésolue et trop aisément déconcertée, si elle acceptait l’occasion d’une affaire sérieuse et décisive avec la Prusse.

Le gouvernement a été surpris par cette redoutable explosion, cela n’est pas douteux, et le corps législatif n’a pas été moins étonné de se réveiller en face de la guerre. La chambre en était à commencer paisiblement la discussion du budget, et la veille même, par une coïncidence curieuse, elle discutait une question qui, a l’insu de tout le monde, n’était point en vérité sans un étrange à-propos dans la circonstance : c’était la question de la force nationale et de l’organisation militaire de la France. On ne savait pas alors, — les réductions de contingent acceptées par M. le maréchal Lebœuf et le langage confiant de M. Émile Ollivier en sont le témoignage naïf, — on ne savait pas encore qu’on n’était séparé que par quelques heures à peine d’une de ces crises où un peuple est contraint à l’improviste d’être à la hauteur de tous les événemens ; on savait du moins que depuis assez longtemps tout ne va pas le mieux du monde en Europe, et qu’il y a des momens où il ne faut pas toucher à ce que M. Gambetta appelait si bien récemment la prunelle de l’œil de la France, l’intégrité de l’armée, la puissance militaire.

Assurément rien n’est plus facile que de déclamer sur les rigueurs du service militaire, sur les besoins de l’agriculture, sur les déperditions du travail, sur l’exagération des dépenses improductives ; malheureusement on n’a pas trouvé jusqu’ici le secret d’être un grand pays sans se tenir prêt à jouer son rôle dans les affaires du monde, d’avoir une armée sans la préparer et sans se résigner pour cela à quelques sacrifices ; c’est ce que l’opposition ne comprend pas toujours. L’utopie la fascine ; sa chimère est l’abolition des armées permanentes. Elle a la prétention passablement contradictoire et même un peu ingénue de combattre l’esprit militaire en armant tout le monde, jusqu’aux élèves des lycées, de faire face à tout par les levées en masse, de rétablir l’équilibre du budget par la réduction des armemens réguliers. Elle ne s’aperçoit pas que la pire des choses après tout, c’est d’être battu, comme on le serait infailliblement avec ce système, et qu’il n’y a rien de plus ruineux que les économies qui atteignent la force nécessaire d’une nation. M. Garnier-Pagès proposait l’autre jour à M. le maréchal Lebœuf le problème suivant : « dépenser le moins possible et rester le plus fort possible, » en d’autres termes tenir tête à la Prusse ou à toute autre puissance, s’il le faut, et ne rien dépenser du tout. M. Garnier-Pagès n’est vraiment pas difficile, et il prenait bien son temps. Est-ce en multipliant les propositions de ce genre que la gauche arrivera sûrement à être un parti pratique ? Il a fallu que M. Thiers avec son expérience, avec son sentiment supérieur des grandes situations, prît sur lui de donner à l’opposition une leçon de politique, et eût le courage d’avertir le pays qu’on le trompait par des chimères de désarmement, — qu’un peuple comme la France a besoin