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ces jours-ci agité les esprits. Le ministère n’y a pas pris garde, il n’a pas vu qu’en donnant ce coup de fouet au pays il courait le risque de compromettre le résultat modeste qu’il poursuivait ; il s’exposait à ce que ce résultat, si on l’obtenait, fût considéré par l’opinion comme assez disproportionné avec l’agitation qu’on a créée.

C’est ce qui n’a pas manqué d’arriver. Ce sentiment de déception a fait déjà explosion au milieu de circonstances où tout le monde dans le gouvernement n’a pas gardé une contenance suffisamment discrète, et dans quelle alternative se trouve aujourd’hui le ministère ? Qu’on admette la meilleure chance, celle d’une négociation heureusement conduite ; si le cabinet français relevait trop ses avantages, il pourrait exciter la susceptibilité de la puissance à laquelle il vient de demander une concession, et c’est ici un autre côté de la situation qui n’est même pas le moins grave au point de vue de la durée de la paix. On a frappé un grand coup, et on a paru un instant avoir réussi, nous le voulons bien ; mais, dans l’hypothèse même de cette réussite, s’est-on demandé quelles conditions nouvelles allait créer cet incident ? Ces conditions sans nul doute vont être plus que jamais difficiles et précaires. Qu’on remarque le soin qu’a pris jusqu’ici M. de Bismarck de rester en apparence étranger à tout ce qui vient de se faire. Le chancelier a été appelé un instant ; il est parti de ses terres de Poméranie, il est allé jusqu’à Berlin sans se rendre à Ems, et il est aussitôt rentré à Varzin. M. de Bismarck est trop clairvoyant pour avoir voulu accepter une querelle dans les conditions qu’on lui offrait. Évidemment la candidature du prince de Hohenzollern était aux yeux de M. de Bismarck un mauvais terrain. Le chancelier s’est tenu à l’écart, et on ne peut guère douter de l’intention qu’on a elle en Prusse d’écarter au plus vite une question importune.

Est-ce à dire que le roi Guillaume, M. de Bismarck et la Prusse ne gardent aucun ressentiment de ce qui vient d’arriver, si une solution pacifique vient à triompher encore ? On le saura bientôt. Il est à craindre qu’au succès après tout négatif que nous pourrions obtenir, M. de Bismarck ne tînt à opposer quelque succès un peu plus palpable, et qu’après avoir refusé le combat sur l’ingrat terrain d’une candidature princière, il ne répondît par quelque pas décisif sur le terrain allemand. Il n’est point impossible que cet incident ne suscite au-delà du Rhin des sentimens qui, pour être plus tardifs, plus lents à se produire, ne seront pas moins sérieux. Tandis que l’opinion en France s’amortira, s’aigrira dans les incertitudes d’une situation mal engagée, l’opinion en Allemagne restera sous le coup de cette crise violente, et s’exaltera de telle sorte que cette paix d’aujourd’hui, si tant est que ce soit une paix, ne serait rien moins que sûre ; encore une fois, ce ne serait malheureusement peut-être qu’une guerre ajournée, qui pourrait éclater dans des conditions plus défavorables pour nous. Et voilà ce qu’aura produit une politique, — trop bruyante, trop impétueuse, si elle avait cette « passion