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faite. Quant à la dépêche du roi de Prusse, elle existe, nous n’en doutons pas ; il est pourtant à remarquer que jusqu’ici pas un mot du gouvernement n’y a fait allusion. M. de Gramont s’est borné à déclarer que les négociations avec la Prusse n’étaient pas encore terminées.

La paix est assurément un assez grand bienfait, et elle puise dans les intérêts qu’elle protège une force assez efficace pour triompher de tout ce qui ne serait qu’irrégularité de forme dans une négociation. Le gouvernement n’ayant demandé qu’une chose, la renonciation du prince de Hohenzollern garantie par l’intervention du roi de Prusse, il est clair que, si cela était accordé, on ne pourrait excéder soi-même la limite des réclamations qu’on a élevées, qu’on ne pourrait greffer en quelque sorte sur un incident apaisé un incident nouveau qui rallumerait le conflit ; mais ici s’élève pour le gouvernement une question de responsabilité qui va être sans doute dans les deux chambres l’objet de discussions ardentes, où retentiront toutes les passions patriotiques. Ce qui peut inquiéter dans tous ces événemens qui se succèdent et se pressent sous nos yeux depuis quelques jours, c’est que tout marche véritablement d’une étrange allure, c’est que, par la manière dont on a procédé, cette paix qu’on souhaite, qu’on s’efforce de maintenir, pourrait bien n’être qu’une paix un peu plus précaire encore que celle qui existait il y a trois semaines, ou, pour mieux dire, cette paix pourrait n’être qu’un conflit ajourné. Le ministère français s’est lancé d’un tel bond dans cette affaire qu’il lui est difficile aujourd’hui de s’arrêter sur place et de contenir les ardeurs qu’il a déchaînées. Il y a une règle assez simple et assez naturelle en politique : il faut avoir soin de proportionner son élan et ses moyens au résultat qu’on veut atteindre. Si le ministère ne voulait rien de plus qu’une renonciation du prince de Hohenzollern au trône d’Espagne, il est clair qu’il aurait pu déjouer cette combinaison par des moyens moins bruyans, moins périlleux et tout aussi efficaces. Sa parole aurait pu avoir une autorité tout aussi décisive, et elle n’aurait pas été certainement moins écoutée, pour ne s’être pas produite au milieu des foudres et des éclairs ; — si sa parole n’avait pas trouvé l’accueil qui lui était dû, il aurait été alors d’autant plus fondé à tirer tout à fait son épée hors du fourreau, il aurait eu devant le monde l’avantage d’une tentative qui absolvait d’avance ses résolutions les plus inflexibles. Par la déclaration hautaine et incontestablement inusitée qu’il portait à la tribune, il s’exposait à dépasser le but et à frapper trop fort. En écartant l’Espagne pour concentrer le conflit entre la France et la Prusse, il permettait de croire qu’il allait à ce redoutable tête-à-tête avec l’intention de relever ce qu’il considérait comme un défi, comme l’expression de toute une politique. En un mot, qu’il le voulût ou qu’il ne le voulût pas, derrière cette candidature importune du prince de Hohenzollern, il laissait entrevoir tous les griefs de la France contre la Prusse ; il passionnait l’opinion, et il fomentait ce bruyant malentendu qui a tous