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longtemps assurément qu’il ne s’était manifesté autour d’une négociation diplomatique un tel entraînement, une telle fièvre d’impatience. Il ne faut pourtant pas oublier que depuis le jour où M. le duc de Gramont prononçait les paroles par lesquelles le conflit se révélait dans toute sa gravité, huit jours sont à peine écoulés, et ce n’est que dimanche que M. Benedetti, ambassadeur de France à Berlin, pouvait voir le roi Guillaume à Ems, pour lui soumettre les réclamations de la France. Ce qu’on demandait au souverain prussien, c’était de retirer l’autorisation qu’il avait accordée au prince Léopold de Hohenzollern d’accepter la couronne d’Espagne, et, si nous ne nous trompons, on faisait aussi quelque allusion à des garanties pour l’avenir. La satisfaction réclamée par la France devait du reste être donnée dans le plus bref délai, et eu cela la France était mue surtout par l’idée d’éviter les complications nouvelles que pourrait créer la réunion prochaine des cortès à Madrid. Le gouvernement français tenait expressément surtout à écarter l’Espagne de cette délibération dont pouvait sortir la paix ou la guerre. Au premier moment, soit qu’il ne comprît pas d’abord toute la gravité de la question, soit qu’il voulût gagner du temps, le roi de Prusse ne répondait que d’une manière évasive. La guerre semblait dès lors imminente. Bientôt cependant une éclaircie survenait. Le père du prince Léopold, le prince Antoine de Hohenzollern, sans doute sous l’inspiration de la Prusse, déclinait au nom de son fils la candidature à la couronne espagnole, et peu après, à ce qu’il paraît, le souverain prussien adressait à l’empereur une dépêche télégraphique par laquelle, comme roi de Prusse et comme chef de la famille de Hohenzollern, il retirait l’autorisation qu’il avait accordée, de sorte que par le fait le point primitif du litige disparaissait. Ce qu’on avait demandé, le roi de Prusse paraissait le concéder ; la renonciation du prince de Hohenzollern qu’on avait pour objectif, on l’obtenait ; les chances de conflit semblaient diminuer par cela même. En quelques jours, on avait passé par toutes les émotions, par toutes les phases d’une négociation pleine d’ardentes péripéties, et l’on se retrouvait en face d’une paix possible.

C’est dans ces termes que la question était posée hier, lorsque M. le duc de Gramont allait faire aux deux chambres une communication à demi rassurante, quoique toujours incomplète et assez mystérieuse encore. C’est la paix vraisemblable, quoique toujours en péril. Il ne faut point en effet dépasser la vérité des choses. Au moment des dernières explications de M. le duc de Gramont, la renonciation du prince de Hohenzollern n’était point encore arrivée directement au gouvernement français. Ce qu’on en connaissait, on le savait par une dépêche du prince Antoine de Hohenzollern au général Prim, qui l’avait transmise à l’ambassadeur d’Espagne à Paris, M. Olozaga, lequel l’avait communiquée à M. Ollivier. La renonciation est donc de toute façon très indirecte, et par la manière dont elle est arrivée et par la qualité de celui qui l’a