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Prusse elle-même ne s’y méprend pas, elle sait bien que, de tout ce qu’elle a fait en un jour de prodigieuse victoire, rien n’est définitif tant que ses relations avec la France sont incertaines et obscures, toujours exposées à ce coup de vent d’une querelle inattendue.

La Prusse a été heureuse dans une guerre habilement préparée, elle a tiré parti de sa victoire, ce n’est pas là ce qu’il y a d’extraordinaire ; mais n’est-il point visible que, depuis ce jour d’étonnante fortune, la Prusse n’a d’autre pensée que d’étendre par tous les subterfuges, par tous les artifices des interprétations captieuses, les résultats de ses victoires pourtant assez beaux ? Est-ce que ces traités militaires qui ont inféodé à la nouvelle confédération du nord les forces de la Bavière, du Wurtemberg, de Bade, sont bien réellement dans la limite de la paix de 1866, et laissent intacte la souveraineté indépendante de l’Allemagne du sud, consacrée par les traités ? Est-ce que la Prusse a trouvé ailleurs que dans sa volonté le droit d’occuper Mayence, qui est en dehors de la confédération ? Est-ce que M. de Bismarck ne s’est pas moqué mille fois de cette barrière du Main qu’on lui oppose sans cesse ? Est-ce que le Danemark n’en est pas encore, après quatre ans, à savoir quels sont les districts du Slesvig que lui assure la paix de Prague ? Et quand, la Prusse procède ainsi, lorsqu’elle saisit toutes les occasions de faire acte de prépotence, de prendre quelque gage nouveau ou de s’affranchir des obligations qu’elle a contractées dans la plénitude de la victoire, croit-on que la France n’ait pas le droit de s’émouvoir, qu’elle puisse rester indifférente devant une politique qui ne s’arrêtera évidemment que lorsque, par la guerre ou par la paix, elle aura réalisé tous ses desseins ? Tout ce qui est arrivé découle et devait découler de cette situation. La candidature du prince de Hohenzollern n’a plus été qu’un détail ; l’Espagne elle-même a disparu, le conflit s’est immédiatement précisé entre la France et la Prusse, et le gouvernement l’entendait ainsi lorsque, dans un premier mouvement, il allait faire devant les chambres cette déclaration retentissante et inusitée : « Nous ne croyons pas que le respect des droits d’un peuple voisin nous oblige à souffrir qu’une puissance étrangère, en plaçant un de ses princes sur le trône de Charles-Quint, puisse déranger à notre détriment L’équilibre actuel des forces en Europe, et mettre en péril les intérêts et l’honneur de la France. » C’était une sorte d’ultimatum qu’on lançait du haut de la tribune, sans trop prendre garde si on n’allait pas mettre le feu à l’opinion et préparer un de ces malentendus de passion publique qui aggravent toutes les situations.

Que s’est-il passé depuis ce moment ? Comment s’est traduite diplomatiquement cette déclaration du 6 juillet ? Nous entrons ici en vérité dans une confusion où les communications se brouillent sur les fils télégraphiques, et où les esprits font un peu comme le télégraphe. Il y a