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entouré pour hâter une combinaison évidemment dirigée contre elle. Dans toute cette affaire, le gouvernement espagnol a porté le sentiment de ses embarras, — l’impatience d’avoir un roi ; — la Prusse a porté ses vues particulières et son ambition. Le général Prim s’est caché peut-être, ainsi qu’il l’a dit, pour éviter le ridicule d’un échec nouveau dans cette recherche incessante et toujours inutile d’un souverain ; M. de Bismarck s’est tenu derrière le rideau pour ne pas montrer la main de la Prusse. Qu’on ait affecté et qu’on affecte encore de représenter le cabinet de Berlin comme entièrement étranger à cette négociation, c’est aisé à comprendre ; il n’est pas moins vrai qu’il a su ce qui se préparait, qu’il y a aidé, qu’il a facilité le dénoûment, — et si M. de Bismarck a été assez habile pour s’abstenir, comme il s’abstient encore, s’il n’a rien négligé pour laisser à tout ce qui se passait le caractère d’une affaire de famille entre le roi Guillaume et le prince de Hohenzollern, c’est qu’il sentait bien que c’était là une de ces tentatives qu’il faut se réserver de pouvoir désavouer au besoin. En faisant ce qu’il a pu pour réussir, il s’est arrangé de façon à pouvoir dire que la Prusse n’y est pour rien, que l’Espagne est seule juge du choix de son souverain. Au demeurant, c’est la clé de tout ce qui est arrivé. On n’a pas pu s’y tromper, et c’est ce qui a excité une émotion si profonde en France, c’est ce qui explique aussi comment le gouvernement français, mis tout à coup en demeure de prendre un parti, a laissé entrevoir dès le premier moment une nuance sensible dans son attitude vis-à-vis de l’Espagne et vis-à-vis de la Prusse.

La gravité de la question en effet ne tient ni à l’Espagne, ni même personnellement au prince Léopold ; elle a tenu à cette présence de la Prusse dans une affaire où nos intérêts étaient plus ou moins directement atteints. Un incident frivole et sans importance par lui-même a réveillé et a remis en pleine lumière toutes ces difficultés qui rendent la paix si laborieuse, si précaire entre la France et la Prusse. On a dit que c’était un prétexte, une occasion qu’on saisissait pour faire une querelle à la Prusse ; c’est bien possible, mais on ne voit pas qu’il y a des circonstances où tout est inévitablement occasion et prétexte, parce que l’antagonisme est dans le fond des choses, parce qu’il y a une logique désastreuse qui laisse toujours entrevoir la possibilité d’une lutte, parce qu’il y a une fatalité cruelle qui tient sous les armes des peuples faits pour s’entendre, pour travailler en commun à la civilisation générale. Oui, sans doute, il ne faut pas se faire d’illusions, tout est prétexte ; aujourd’hui c’est la candidature du prince de Hohenzollern au trône d’Espagne, hier c’était l’affaire du Luxembourg, demain ce sera autre chose : à la moindre apparence, c’est un frémissement universel, un perpétuel qui-vive, et il en sera ainsi tant que la situation respective de la France et de la Prusse restera ce qu’elle est depuis quatre ans. La