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L’ineffaçable trace du crime paternel et l’opprobre du supplice, et tout cela pour fournir à ce joyeux prodigue, à ce joueur effréné qui eut pour nom Guido Reni, l’occasion de mettre son talent en relief et de se faire une renommée populaire. » Le malheur de l’aimable jeune fille a produit en effet la part la plus solide et surtout la plus durable de la gloire de Guido Reni. Certes le peintre qui a décoré le palais Rospigliosi de sa poétique fresque de l’Aurore, l’auteur de la fresque de saint André et du Martyre de saint Pierre, était assez riche de ses dons naturels pour ne pas avoir besoin d’un tel secours de la fatalité. Il n’en est pas moins vrai que sa renommée ne se serait jamais étendue au point où elle l’est de nos jours sans le portrait de la triste héroïne. L’Europe entière sait son nom, que dis-je l’Europe ? l’Amérique elle-même le prononce, car il n’est pas une miss des deux mondes qui n’ait eu le portrait de Béatrice Cenci dans sa chambre, qui ne l’ait dessiné ou même copié de ses mains, et qui ne reporte sur l’auteur une part du mélancolique enthousiasme que lui inspire ce beau visage. De toutes les œuvres de peinture qui sont à Rome, celle qui est honorée du plus grand nombre de copies est certainement le portrait de Béatrice ; mais ce n’est pas seulement à cet engouement d’une mode sentimentale que Guido Reni doit l’extension de sa célébrité. Ce portrait lui a conquis d’un seul coup tous les publics, le public des femmes et des gens du monde, à cause de l’histoire de l’héroïne, le public des multitudes à cause du caractère pathétique, dramatique à l’excès de cette peinture, et enfin celui des philosophes et des hommes de vie méditative à cause de l’expression exceptionnelle de cette douleur, qui est d’une importance psychologique réelle. Ce portrait lui a conquis tous les publics, et pour comble de fortune il les lui conservera, car le temps, ne pourra jamais détruire le touchant intérêt, ni amoindrir la valeur dramatique, ni effacer le caractère psychologique de cette œuvre.

Mais il faut bien le dire, tout n’est pas précisément pur dans la sympathie universelle qu’inspire ce portrait, et les dispositions maladives de notre siècle pour une certaine musique poétique d’harmonica douloureuse et voluptueuse à la fois y entrent bien pour quelque chose. Les œuvres d’art qui sont à Rome ne flattent guère cette nervosité particulière à notre siècle, que les artistes passés n’avaient pas prévue et qu’ils auraient probablement peu estimée ; elles vont plus franchement, plus droitement, plus vertueusement, pour tout dire, au cœur et à l’âme du contemplateur. Cependant le portrait de Béatrice n’est pas la seule œuvre de Rome qui ait ce caractère douloureux et morbide ; il y en a une seconde, la statue de sainte Cécile, d’Etienne Madame, pleine d’un charme funèbre qui