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voyons dans le portrait de Velasquez ! Il avait des goûts fort laïques qui doivent le rendre cher à tout Lattre ; , il ne lisait que des ouvrages de poésie et de littérature, il connaissait la valeur d’un sonnet et d’un acrostiche, il savait en quoi consistent les différences entre le* : mètres divers dont Horace s’est servi, et lorsque l’art des fortifications qu’il cultivait trop, ainsi que le prouva pour sa tranquillité la déplorable guerre de Castro, lui laissait quelque loisir, il s’ingéniait à faire entrer dans la mesure du vers saphique le cantique du vieillard Siméon. Les rigoristes des diverses catégories pourront en grogner ; mais un lettré doit dire d’eux comme Sosie de Mercure :

Ces gens assurément n’aiment pas la musique,


et remercier par un gracieux sourire l’ombre du pape Urbain VIII.

Si les lettrés doivent garder à ce pontife un bon souvenir, les Français lui doivent plus de reconnaissance encore. Peu de grands personnages à son époque ont plus influé qu’Urbain VIII sur les destinées de la France. Il fut l’allié très fidèle de Richelieu et le seconda tant qu’il put par sa politique anti-autrichienne au moment le plus décisif de la guerre de trente ans. Il vit sans s’émouvoir le grand Gustave-Adolphe paraître sur la scène du monde, et resta inflexiblement sourd aux instances de Ferdinand II et de l’Espagne : politique étrange, ingrate en apparence, mais fort clairvoyante en réalité. Urbain vit nettement que l’Espagne n’était plus une force pour le saint-siège, que l’empire serait toujours un allié douteux et dangereux, et que la France était véritablement alors le bras armé du catholicisme. Par cette politique, il contribua singulièrement à décider la prépondérance de la France en Europe au XVIIe siècle. Il eut encore sur nos destinées une influence plus directe, s’il est possible, car il concourut à l’affermissement du système monarchique inauguré par Richelieu, et cela de la façon la plus étrange. Richelieu triomphait, mais son système pouvait périr après lui, s’il ne transmettait sa pensée à un homme d’état qui en fût le dépositaire fidèle ; les troubles de la Fronde ne le prouvèrent que trop plus tard. C’est à Urbain VIII que Richelieu dut ce dépositaire, car c’est ce pape qui dénicha, devina, protégea Mazarin, et assura sa grandeur future. On pourrait presque soutenir que la monarchie française du XVIIe siècle fut l’œuvre de deux papes : Sixte-Quint et Urbain VIII. Par Sixte-Quint, la succession légitime de la couronne fut sauvée, et la nationalité française préservée de la dissolvante influence espagnole ; par Urbain VIII, la monarchie nouvelle fut consolidée et acquit certitude de durée. Ce qu’il y a de plus à craindre pour les systèmes politiques qui se fondent, c’est la discontinuité