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c’est aussi celle qui permet le mieux de surprendre et pour ainsi dire de forcer la modestie de ce génie, qui semble n’oser se laisser reconnaître pour ce qu’il est. Au premier abord, la toile est froide et plaît médiocrement. On se rappelle que cette sage composition a servi d’inspiration à Rubens pour sa Communion de saint François du musée d’Anvers, et le souvenir de la toile fougueuse nuit quelque temps dans l’imagination du spectateur à la scène plus paisible du Dominiquin. Ce n’est qu’à la réflexion, et après plusieurs visites, que l’on découvre tout ce qu’il y a de génie dans cette œuvre sans fracas. La figure principale, celle de saint Jérôme, a été comprise de la manière la plus originale, je dirais volontiers la plus sûre, en dépit des critiques qui lui ont été adressées. Le saint est bien là tel qu’il dut être à la suite de sa longue vie de luttes et d’austérités ; c’est une momie vivante desséchée par le soleil de Palestine et de Syrie. Sa peau est un parchemin, sa chair, chaque jour diminuée par le jeûne, s’est séchée autour de ses os ; ses articulations, pareilles à des gonds rouillés et descellés qui ne soutiennent plus leurs portes, laissent tomber inertes ses pauvres membres ; sur cette poitrine osseuse et aux creux profonds, il semble qu’on distingue les traces du caillou qui la frappait chaque jour. Cependant cette dessiccation si complète n’a pas atteint l’âme du violent Dalmate ; il n’y a ici de sénile que le corps, dont l’esprit, athlète victorieux, vient enfin de triompher. Elle est encore debout tout entière, cette âme ; on le voit à la mâle tranquillité du saint, même une sorte de jeunesse émane d’elle, car elle rayonne d’attendrissement à la pensée qu’elle reçoit pour la dernière fois sur la terre ce Dieu qu’elle va saluer dans un instant. Admirable aussi est le personnage de sainte Paule. Avec quelle véhémence italienne elle porte les lèvres sur la main de celui qui fut pour elle le père et le maître ! Rarement l’ardeur passionnée de la dévotion du midi fut rendue avec plus d’éloquence et de vérité. Les diverses nuances de sympathie et de respectueux intérêt des assistans qui entourent le saint ne peuvent certainement pas soutenir la comparaison avec les pathétiques expressions des assistans de la Communion de saint François de Rubens ; mais elles sont marquées néanmoins avec beaucoup de finesse et de variété. Cette scène d’agonie est semblable à la vie du saint, qui s’écoula tout entière dans une solitude active. A sa mort, comme pendant sa vie, quelques rares amis, serviteurs de son génie et messagers de ses volontés, l’assistent et le soutiennent : il expire au sein de son étroite famille, loin du monde et cependant encore au sein du monde, puisqu’il est entouré des vivans instrumens par lesquels il ne cessa jamais d’agir sur lui. Quant à ce vaste monde auquel le saint pensait toujours du fond de sa solitude pour l’enflammer de zèle et