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la riante fresque de l’Aurore et le très substantiel petit saint Sébastien, pareil à un beau torse grec, pris pour cible par des flèches barbares.

Comme chez tous les peintres de l’école de Bologne, il y a dans les œuvres du Dominiquin un élément dramatique très fort, mains marqué cependant que chez les Carrache et surtout moins expressif. La beauté pure suffit encore au Dominiquin, tandis qu’elle ne suffit plus aux Carrache ; il se rattache encore à la tradition par mille liens subtils, tandis que les Carrache rompent définitivement avec elle ; en toutes choses, il forme la transition entre le grand art du passé et l’art nouveau inauguré par Bologne. Si son originalité y perd quelque chose en franchise, elle y gagne en revanche Beaucoup en charme et en tendresse. C’est surtout par l’expression des nuances des caractères que se recommande ce génie dramatique du Dominiquin, dont un des plus remarquables spécimens est la fresque du Martyre de saint André, peinte en concurrence avec le Guide à l’église de Saint-Grégoire. Il y a là tel personnage d’une observation forte et subtile à la fois qui est digne de Shakspeare. Ce peintre, qui semble avoir eu peu de goût pour les spectacles sanglans devant lesquels ne recule pas l’école de Bologne, a choisi pour sujet de sa fresque les préludes du martyre de saint André. Le saint est étendu tout nu sur un échafaud pour subir la flagellation. Au-dessus du portique, un magistrat est assis présidant aux apprêts du supplice avec l’impassible gravité qui convient à sa charge. Dans l’enceinte, des bourreaux d’aspect aussi honnête que les bourgeois de la complainte du Juif errant vont et viennent, apportant des paquets de cordes et disposant toutes choses avec soin pour que leur besogne soit proprement faite. Comme nous sommes loin ici des tortionnaires de l’art flamand à l’aspect ignoble et brutal, démons sous forme d’hommes ! Ces bourreaux du Dominiquin, comme ceux de l’art italien en général, sont de braves gens, sans autre vulgarité que celle de leur condition, d’acceptables gredins qui exercent leurs talens de par l’autorité de la loi, non des tricoteurs de la croix et du chevalet. Un de ces aides du supplice surtout est un chef-d’œuvre de vérité et de pénétrante observation. C’est un vieil agent de la police païenne qui, le gourdin à la main, repousse le groupe des amis chrétiens qui voudraient se presser autour du martyr. Sa physionomie est un mélange de bonhomie italienne et de dureté professionnelle. Sa brutalité est celle qui naît de l’habitude de ses fonctions et non des instincts d’une nature perverse. Le peintre a si finement marqué cette nuance, qu’il semble qu’on entend parler son personnage avec toute la variété des intonations de sa voix, d’abord doucement familières, ensuite violentes comme la force. « Allons,