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s’établir, figura longtemps sur la cote de la Bourse, et parut jouir pendant quelques, années d’une certaine prospérité : c’est le comptoir Bonnard, devenu, plus tard le comptoir Naud. Il avait pour mission de faciliter l’échange en nature des marchandises, immeubles, travaux et objets de toute sorte : les maisons de commerce ou d’industrie lui souscrivaient des billets payables à vue en travaux de leur industrie ou de leur commerce, et les échangeaient contre des billets du même genre souscrits par d’autres industriels dont les travaux pouvaient leur être utiles. Quel était l’avantage d’une pareille combinaison ? Il est malaisé de le dire ; mais beaucoup de gens se flattaient que le placement des marchandises produites serait plus facile, s’il suffisait de les échanger contre d’autres marchandises. C’était oublier que le défaut de vente ne tient pas à l’insuffisance du monétaire métallique, qu’il provient uniquement de l’absence d’un besoin du consommateur. Ces idées d’échange en nature furent encore bien accueillies par les coopérateurs. Comment s’en étonner ? De la suppression des intermédiaires, le système coopératif doit logiquement conduire à ce résultat final. Aussi dans les rangs populaires on se fait de la coopération une idée beaucoup plus vaste, plus radicale que celle qui est acceptée par les éclairés partisans de ce régime. Ont ne recule pas devant l’établissement d’un vaste réseau de sociétés anonymes superposées les unes aux autres, solidarisées entre elles, accaparant dans leurs rouages multiples tout le commerce du monde. Il y a surtout une prédilection marquée pour les syndicats : on parle de constituer des syndicats régionaux d’acheteurs et de consommateurs, un syndicat des crédits, etc. Les mêmes gens qui n’ont pas assez de plaintes contre l’esprit de spéculation et d’agiotage, inventent ainsi des systèmes qui ne seraient autre chose que l’agiotage et la spéculation organisés et en permanence.

La troisième forme des associations coopératives ne sera pour nous l’objet que de courtes réflexions. Les sociétés de production n’ont réussi ni en France ni ailleurs, et cet échec a manifestement démontré combien était erronée, la prétention de se passer de l’entrepreneur. Dans le comité d’enquête sur la coopération, l’on a discuté la question de la préférence à donner au travail, à la tâche ou au travail à la journée. La majorité s’est prononcée pour le premier mode, et il est remarquable que les ouvriers qui faisaient partie de la réunion se rangèrent à cet avis. Un autre sujet, non moins intéressant fut abordé ; il s’agissait de savoir, si l’on devrait associer aux bénéfices les ouvriers auxiliaires, — c’est ainsi que l’on désigne les simples salariés, — et il y eut unanimité pour la négative. Écoutons un ouvrier, M. Cohadon, gérant de la société des maçons :