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qui faisaient leur voyage d’Italie ne passaient pas à Florence sans aller présenter leurs hommages à leur ancien roi, qui les recevait avec affabilité, causait volontiers avec eux de la Hollande, et s’intéressait toujours à ce qui s’y passait. Il ne manifestait aucune amertume contre ceux qui, après l’avoir servi, s’étaient ralliés à la royauté constitutionnelle de la maison d’Orange ; seulement, m’ont dit des personnes qui lui avaient rendu visite, il était de bon goût de ne pas parler en sa présence des quelques Hollandais qui avaient pris parti pour Napoléon contre lui ; on voyait que leur souvenir lui était pénible, et qu’il cherchait à détourner la conversation. Il mourut à Florence le 25 juillet 1846.

En résumé, l’histoire de Louis Bonaparte laisse dans l’esprit de ceux qui l’étudient une impression très mélancolique. Les torts qu’il put avoir, qu’il eut, selon nous, ne sont pas en proportion avec ses infortunes. Napoléon fut bien dur envers son frère ; il s’en servit au gré de son ambition et de son orgueil comme d’un instrument que l’on brise dès que l’on croit n’en avoir plus besoin. Il ne faut pas chercher à pallier la conduite de l’empereur en lui donnant pour excuse les entraînemens du patriotisme et de la politique. L’honneur de la France n’avait rien à gagner dans la violation d’une parole solennellement donnée à plusieurs reprises à la face de l’Europe. Quant à la politique, l’annexion de la Hollande fut une faute, une très lourde faute. D’un pays allié, elle fit un pays ennemi, et dont l’inimitié nous fut bien funeste à l’heure des grands revers. Elle détermina le triomphe du parti anti-français en Russie, elle acheva d’inquiéter l’Europe entière, alliée ou neutre, en démontrant avec la dernière évidence qu’il n’y avait pas une couronne, pas une nation qui pût se croire à l’abri de l’arbitraire impérial. A tous les points de vue donc, à celui de la morale comme à celui de la politique, nos sympathies sont pour le roi dépossédé contre celui qui l’a détrôné.

Nous ne pouvons toutefois terminer ce travail sans envisager directement une question qui surgit en quelque sorte d’elle-même quand on a fait l’histoire de ce règne de quatre ans. Si les circonstances avaient été tout autres, si par exemple la paix générale avait pu s’établir solidement après Friedland et Tilsitt, et que Napoléon se fût décidé, même au prix de quelques sacrifices, à mettre un terme à ses envahissemens continuels, Louis serait-il parvenu à s’asseoir fortement sur le trône que la volonté fraternelle lui avait érigé ? Aurait-il fondé une dynastie au sein du peuple hollandais ? C’est douteux. J’estime qu’il est heureux pour sa mémoire comme roi de Hollande que, dans son vif désir de régner, il ait dû se prononcer comme il l’a fait sur les questions que ses sujets considéraient alors comme