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amélioration vint à se produire et à se répandre avec le même succès. Un grand nombre de ces petits façonniers et patrons d’outre-Rhin, tailleurs, relieurs, tisserands, se réunirent en groupes pour acheter en gros les matières premières de leur industrie : c’était là une idée pratique et sage, qui porta les excellens fruits que l’on en pouvait attendre. Aidé par ces secours nouveaux, le petit commerce d’Allemagne se sentit plus de vigueur, il prit une allure plus régulière, et fut même à l’abri des crises. Le public français ne tarda point à être informé de ce mouvement si fécond et si judicieux qui s’opérait chez nos voisins ; mais il se trompa sur le caractère et la portée de ces modestes institutions : il leur attribua un objet qu’elles n’avaient pas et des proportions qu’elles n’ont jamais atteintes. Il ne tint aucun compte des conditions particulières au pays où elles étaient nées ; il crut avoir découvert un moyen de rendre chaque ouvrier capitaliste et de détruire le prolétariat.

Il s’était produit en Angleterre un mouvement analogue à celui dont l’Allemagne avait été le théâtre. Dans différentes villes manufacturières, quelques ouvriers d’élite avaient, à partir de 1844, fondé des sociétés d’approvisionnement et de consommation dont l’objet était d’acheter en gros les denrées nécessaires à la vie et de les revendre en détail aux associés. Quelques-unes de ces entreprises populaires, celle des équitables pionniers de Rochdale entre autres, étaient parvenues, après différentes épreuves et péripéties, à une véritable et solide prospérité. Nous ne croyons pas que personne ait pris la peine d’examiner les conditions où se trouvait à cette époque le commerce de détail en Angleterre. C’était là cependant une étude indispensable pour se rendre compte de l’efficacité du procédé dont les travailleurs anglais s’étaient servis. Quelques mots suffiront pour éclairer cette question. A l’époque où la grande industrie se répandit en Angleterre, les manufacturiers prirent l’habitude d’avoir à côté de leurs usines de vastes magasins où ils réunissaient les denrées nécessaires à la vie pour les détailler à leurs ouvriers. Était-ce dans le principe une pensée philanthropique qui avait inspiré cette organisation ? était-ce au contraire une idée de lucre ? Quoi qu’il en soit, ce régime devint bientôt général, et il donna lieu à de grands abus. La plupart des patrons tiraient un énorme bénéfice de cette industrie accessoire. L’opinion publique se manifesta avec force contre ces pratiques connues sous le nom de truck system. Le parlement intervint et fit une loi pour défendre expressément aux manufacturiers de se livrer à cette sorte de commerce. Ces prescriptions législatives ne se montrèrent pas efficaces, car cette année même un journal anglais, the Economist, nous apprenait que la plupart des manufacturiers d’Ecosse persistaient, au mépris des dispositions légales, à entretenir près de leurs