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contraires, il ne se contente pas de les faire belles, il les fait encore instruites, raisonneuses et discrètes. Se rapproche-t-il par là davantage de la vérité ? Je ne le pense pas, mais on voudrait du moins pour l’honneur de Lothaire que l’empire qu’elles prennent tour à tour sur son esprit s’expliquât par leur caractère, et on regrette de n’y pas découvrir des traits assez nets et assez tranchés.

Lady Corysande n’a rien qui la distingue des personnes de son âge. La duchesse, sa mère, a soin de nous apprendre qu’elle ne ressemble pas à tout le monde ; c’est, dit-elle, une nature compliquée dont la profondeur l’inquiète. Je serais fort embarrassé de dire en quoi cette profondeur consiste ; je vois une jeune fille parfaitement stylée, imbue de tous les préjugés assortis au rang de sa famille, qui en religion comme en politique a les opinions de ses parens, et qui se prononce sur les questions du jour avec une assurance à laquelle on ne peut s’empêcher de sourire. Claire Arundel, d’une famille toujours restée catholique, est plus passionnée, mais elle n’est pas plus naïve. Orpheline, elle a l’église pour véritable foyer. Elle vit entourée de jésuites et mêlée à la haute intrigue ecclésiastique. Elle fait partie d’une sainte conspiration dont un des buts principaux est l’abolition du nom d’Europe, inventé par les philosophes, et le rétablissement du seul nom qui exprime avec vérité l’origine et la grandeur de la civilisation occidentale, celui de chrétienté. Claire Arundel s’efforce d’initier Lothaire aux projets et à la diplomatie sublime de l’église ; elle rêve, dans sa ferveur chevaleresque, une nouvelle croisade, non pour reconquérir l’Orient, mais pour sauver le monde entier, qu’elle déclare en péril, s’il n’est ramené promptement sous la bannière du Vatican. Elle voudrait placer Lothaire à la tête de cette croisade ; après lui avoir sauvé la vie, elle devient le pivot de la grande machination formée autour de lui et le personnage principal de l’indigne comédie par laquelle on espère l’enchaîner sans retour.

Teodora est la figure que M. Disraeli s’est appliqué à peindre avec le soin le plus complaisant. Est-ce un personnage réel, est-ce une allégorie ? Il n’est pas aisé de le décider, et cette incertitude montre qu’en la laissant, à dessein sans doute, enveloppée d’un mystère qui lui a semblé poétique, l’auteur n’est parvenu qu’à la rendre vague et à rassembler en elle dès traits incohérens. Elle réunit tous les talens : elle chante comme la Malibran, elle danse comme Taglioni, elle déclame comme Rachel. A dix-sept ans, elle a servi de modèle pour la tête de la république qu’on voit sur les pièces de 5 francs frappées en 1848. Elle enthousiasmait la foule en chantant la Marseillaise. Elle est restée, sous le nom de Marie-Anne, l’objet d’un culte mystérieux dans le peuple, qui se réunit encore pour célébrer son souvenir. Elle est l’inspiratrice et l’idole d’une société secrète, la