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réalités du monde viennent redresser tour à tour chacune de ses erreurs. Le but du romancier n’est-il pas précisément de nous le montrer gravissant à la sueur de son front les premières pentes de la vie et d’épreuve en épreuve atteignant enfin jusqu’à la sagesse ? L’idée n’est pas nouvelle, et chacun citerait aisément plus d’un ouvrage dans lequel des prosateurs ou des poètes, quelques-uns de génie, l’ont plus ou moins heureusement développée. Cette idée est de celles qui ne s’épuisent jamais, et nous ne demanderions pas mieux que de suivre avec intérêt le progrès d’une éducation que les livres ne remplacent pas ; mais l’éducation n’intéresse que par le mérite de l’élève, et l’on sait ce qu’il convient de penser de Lothaire. « Des spéculations sans fin, dit l’auteur, sur les religions, sur les églises, sur le système solaire et l’ordre cosmique, sur le but de la création et la destinée de l’homme, occupaient son esprit. » Il ne paraît pas que ces réflexions et l’expérience qui vient s’y ajouter lui soient fort utiles. C’est qu’il y a des natures malheureuses auxquelles les plus fortes leçons ne profitent pas, ce sont les natures qui manquent de ressort, et Lothaire est justement de celles-là. Rien ne prouve qu’après avoir vu tant de choses, lorsqu’il revient aux pieds de Corysande et à l’anglicanisme, ce qui semble être pour M. Disraeli le dernier mot de la sagesse, il vaille mieux qu’à son début. Rien ne prouve qu’il ait plus de fermeté dans les idées, plus d’énergie dans la volonté, qu’il soit mieux armé contre les surprises de l’amour-propre ou de la passion ; je ne jurerais pas qu’il ait acquis assez de prudence et de sagacité pour éviter à l’avenir les embûches dont la vie est semée jusqu’au bout. Si l’auteur a voulu décrire une éducation, elle est insuffisante et stérile ; au lieu de profiter à celui qui la reçoit, elle fait tristement ressortir sa parfaite nullité.

On comprend sans peine que M. Disraeli ait personnifié dans trois femmes les opinions entre lesquelles son héros paraît si longtemps partagé. Les femmes ont toujours été grandes faiseuses de prosélytes, elles sont le plus efficace de tous les instrumens de propagande, et voilà bien des siècles qu’un maître en fait de prédication en donnait la raison, lorsqu’il disait aux hérésiarques de son temps : « Adressez-vous aux femmes, elles reçoivent promptement parce qu’elles sont ignorantes ; elles répandent avec facilité, parce qu’elles sont légères ; elles retiennent longtemps, parce qu’elles sont têtues. » Le saint homme aurait pu donner à sa pensée une expression plus polie ; mais, si l’on y réfléchit et qu’on veuille être sincère, on avouera que ces paroles, dans leur crudité, résument quelques-unes des qualités par lesquelles les femmes ont exercé tant d’ascendant aux époques de foi vive et de lutte religieuse, qualités parfaitement compatibles d’ailleurs avec les séductions dont elles se montrent le plus jalouses. M. Disraeli prodigue à ses héroïnes des qualités