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tout ce que nous pouvions encore conserver par une soumission résignée. » Condamner tout un peuple à d’affreuses souffrances pour conserver un souverain qu’après tout personne n’avait désiré, qui ne pouvait même plus faire valoir le seul titre sérieux qu’il eût jamais possédé, celui de servir de garantie à l’indépendance nationale, c’était trop exiger, c’était impossible. Jamais la contradiction latente de la position que le prince Louis avait acceptée en montant sur le trône de Hollande ne s’était révélée plus clairement à ses propres yeux.

Quand il vit que toute idée de résistance devait être abandonnée, il prit son parti, et il le prit en homme d’honneur et dans le sentiment le plus élevé de ses devoirs envers la nation dont il avait juré d’épouser la cause. Il rédigea un message au corps législatif dans lequel il annonçait que, devant l’occupation imminente de sa capitale par les troupes françaises, il abdiquait en faveur de son fils mineur. La reine serait de droit régente, et, les griefs personnels que l’empereur nourrissait contre lui n’ayant plus de raison d’être, le pays pourrait obtenir du souverain de la France « ce qu’il a le droit d’attendre de ses nombreux sacrifices, de sa loyauté et de l’intérêt qu’il ne peut manquer d’inspirer à ceux qui le jugent sans prévention. » En même temps et pour éviter de grands malheurs, il recommandait de recevoir les troupes françaises avec les plus grands ménagemens, de les bien traiter et de s’acquérir par là des titres à la bienveillance de l’empereur. En attendant l’arrivée de la reine, qu’un courrier spécial était allé prévenir, la régence serait confiée au conseil des ministres. Ce message et l’acte d’abdication qui l’accompagnait furent rédigés du 30 juin au 1er juillet 1810, ainsi qu’une proclamation destinée à être placardée le lendemain sur les murs d’Amsterdam. C’est au Pavillon, près de Harlem, où il résidait alors, que ces diverses pièces furent signées dans le plus grand secret.

La nuit du 1er au 2 juillet, le roi, après avoir embrassé son fils en pleurant, sortit par une petite porte du jardin attenant au Pavillon. Une voiture était à quelque distance. Comme tous les jardins hollandais, celui-ci était entouré d’un fossé plein d’eau, et une simple planche communiquait de cette porte, qui ne servait qu’aux jardiniers, avec le chemin d’en face. Le roi, dans sa précipitation, fit tourner la planche en passant dessus et tomba dans le fossé peu profond, mais peu limpide. Il voulut cependant partir à tout prix. Il avait peur d’être trahi, arrêté, et il n’avait plus qu’une idée, celle de se soustraire au pouvoir de Napoléon. Accompagné seulement de son capitaine des gardes, le général Travers, et de son aide-de-camp, l’amiral Bloys de Treslong, n’emportant qu’une