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résume ainsi les faits révélés par l’enquête : « En parlant de la condition des maisons ouvrières, certains commissaires disent qu’elle est « misérable, » d’autres qu’elle est « détestable, » d’autres qu’elle est « une honte pour une nation chrétienne, » et ils épuisent le vocabulaire pour exprimer une situation également désolante partout. Certains grands seigneurs bienfaisans s’occupent de bâtir de bonnes habitations ; mais que peut la charité de quelques propriétaires philanthropes contre une loi économique qui exerce son influence sur tout le pays ? Il est difficile d’énumérer les conséquences fâcheuses qui résultent de cet état de choses sous le rapport physique et intellectuel. L’influence exercée sur la moralité est effroyable. On peut s’étonner que les campagnards ne soient pas plus abrutis. La pudeur doit être une vertu inconnue, la décence une chose impossible, quand dans la même chambre hommes, femmes et enfans couchent les uns à côté des autres, quand pour aucun des actes de la vie il n’y a ni retenue ni mystère, lorsque, dans une hutte où l’atmosphère même est chargée d’une lourde sensualité, l’homme est réduit à une condition inférieure à celle du plus grossier de nos animaux domestiques. Cette effroyable peinture ne ressemble guère aux tableaux des poètes et des paysagistes, mais elle est faite d’après nature. M. Clarke, de Norwich, peut raconter, dit-il, des faits dont il a été témoin, et qui font dresser les cheveux. D’après le rapport des médecins, l’inceste n’est pas rare. Si l’obscénité est si générale, si la chasteté est si peu respectée, il ne faut point s’en étonner. Visitez les cottages, vous y trouverez la source de tout le mal[1].

L’opinion publique, indignée par la révélation de tous ces faits, s’est déchaînée contre les propriétaires avec une violence extrême ; on les accuse d’égoïsme, d’inhumanité, de cruauté. M. Fraser lui-même, qui, en sa qualité d’évêque, siège à la chambre des lords, s’exprime avec une rare sévérité à ce sujet. « Les propriétaires, les squires, dit-il, ont voulu éloigner de leurs domaines les huttes des pauvres travailleurs qui offensaient leurs yeux, gâtaient l’aspect du paysage et troublaient leur gibier. Ils ont voulu se décharger de toute responsabilité sociale relativement à ceux dont le travail produit notre richesse, et dont la force et les muscles se sont usés à leur service. Il est impossible de justifier une conduite aussi égoïste, aussi coupable. »

Si M. Fraser tient un pareil langage, on peut deviner ce que disent les feuilles radicales. Ces accusations, adressées aux grands

  1. Voyez les rapports au parlement cités plus haut et un remarquable travail dans Fraser’s magazyne, avril 1870.