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deux chambres sont réduites à se contenter d’une seule. Le père se réfugie dans le gin-palace, la mère et les enfans vivent des secours publics. Un intelligent bienfaiteur des pauvres, lord Shaftesbury, a tracé un jour à la chambre des lords cet affligeant tableau, et le public en a été atterré. Même dans nos cités, dit un membre du parlement, M. Neate, nous ressentons les fâcheux effets du monopole terrien, qui seraient plus graves encore, si le grand propriétaire ne préférait conserver son domaine intact plutôt que d’accroître son revenu. La moitié de Londres et la plupart des villes modernes de l’Angleterre sont bâties sur un terrain qui n’appartient pas aux constructeurs, de sorte qu’à l’expiration du bail des quartiers immenses et d’une incalculable valeur rentreront dans le domaine inaliénable de quelques hommes, et ainsi non-seulement les champs, mais les cités seront dans leurs mains. Malgré les exercices au grand air si répandus, il semble que l’espèce dégénère. « Derrière les comptoirs des boutiques, vous trouvez, dit M. Leslie, les descendans efféminés des vigoureux yeomen d’autrefois, cette pâle jeunesse qui, répandue dans les campagnes, y mènerait une vie plus heureuse et plus profitable aux vrais intérêts du pays. Le sol anglais est destiné à nourrir une forte population rurale ; il paierait largement le travail d’un nombre double de bras. Sans les restrictions de notre législation féodale, tant des nôtres ne devraient pas quitter la patrie, et des capitaux considérables qui vont chercher un emploi aux antipodes seraient appliqués à l’amélioration de notre territoire, qui, sur beaucoup de points, en a encore si grand besoin. »

L’accroissement excessif de la population, autre cause du paupérisme, est aussi amené par la trop grande concentration de la propriété. Rien ne pousse plus à l’imprévoyance que la position précaire du salarié ; rien n’engage plus à la prudence que la possession d’un bien-fonds. Arthur Young, partisan décidé de la grande propriété, avait annoncé que le morcellement de la terre ferait de la France une garenne de lapins ; or l’on sait qu’il n’est point de pays où la population augmente aussi lentement. Il n’en est pas au contraire où elle surabonde autant qu’en Angleterre malgré ce qu’emporte une énorme émigration. Ce n’est pas en France que Malthus eût eu besoin d’écrire son livre. Voulez-vous résoudre le terrible problème de la population, amenez une diffusion générale de l’instruction et de la propriété. L’homme éclairé et propriétaire ne se marie qu’à bon escient.