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de la chambre des pairs comme ancien chancelier, disait : « Je cherche en vain comment dans ce pays je pourrais trouver de la sécurité pour la propriété ; de toutes parts je la vois menacée, et beaucoup de propriétaires pensent comme moi. » Dans la même discussion, Robert Peel précisait le danger qui, selon lui, était à craindre : « Quant à la propriété, je ne pense pas qu’on l’anéantisse par voie de confiscation ; mais ce que je redoute, c’est que dans une assemblée démocratique un chancelier de l’échiquier avide de popularité ne se lève un jour pour proposer l’abolition de toutes les taxes, qu’on remplacerait par un impôt sur la terre, dont la conséquence serait d’ébranler toute confiance dans la sécurité de la propriété. » Voilà le péril signalé de main de maître. Lorsque dans un pays il y a des classes tellement distinctes que leurs intérêts sont complètement différens, il est difficile qu’on échappe à ce que M. Mill appelle la législation de classe. Si le pouvoir appartient au grand nombre, et s’il existe un impôt justifiable en soi qui n’atteigne que le petit nombre, n’est-il pas à croire que tôt ou tard il sera établi ? Les économistes de l’école de Cobden en ont d’ailleurs rédigé d’avance les considérans quand ils ont soutenu que les impôts directs devaient être préférés aux impôts indirects. Voyez comme en ce point la situation de la France diffère de celle de l’Angleterre. L’impôt des 45 centimes a perdu la république en 1848, parce qu’il frappait 5 millions d’électeurs : en Angleterre, eût-il été double ou triple, il eût assuré le triomphe de la démocratie parce qu’il n’eût frappé que 30,000 contribuables. Je n’insisterai pas davantage. Je crois avoir suffisamment démontré que la trop grande concentration de la propriété terrienne l’expose à de graves dangers, dont deux sont déjà visibles : la limitation du droit par l’état, comme on vient de le faire en Irlande, et la confiscation déguisée au moyen de l’impôt, comme le prévoyait Robert Peel.

Voici maintenant un autre mal : la grande propriété féodale vicie la répartition de la richesse, parce que, attribuant tout le profit net du travail social à quelques familles, elle porte obstacle à l’amélioration du sort des classes inférieures, et contribue ainsi à perpétuer l’indigence. M. Mill a démontré que dans tout état qui progresse l’intérêt et les profits baissent, que le salaire se maintient au niveau de ce qui est nécessaire à l’ouvrier pour subsister, que seule la rente du sol monte toujours. Ce fait s’est vérifié partout. Sauf dans les pays stationnaires, le revenu des terres a doublé depuis cinquante ans, et il continue à s’accroître. Il augmente d’abord par suite de la dépréciation du numéraire, qui fait que tous les produits du sol se vendent plus cher, en second lieu parce qu’une population plus riche et plus nombreuse a besoin de plus de denrées