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L’organisation agraire du moyen âge avec ses vastes communaux, sa culture obligée et indivise, ses prestations et ses corvées, était peu favorable au progrès de l’agriculture ; mais par son immobilité même, par l’empire des usages, par l’absence d’échanges en numéraire et de concurrence, elle garantissait le sort du cultivateur, et lui conservait la terre à laquelle elle l’attachait. Émancipé du servage et arrivé à la propriété dans une époque où la puissance était encore aux mains de la féodalité, il succomba sous une série ininterrompue d’usurpations législatives et de poursuites judiciaires contre lesquelles il n’était pas encore assez fort pour se défendre. C’est ainsi que le cultivateur propriétaire a été anéanti dans le pays même où il est arrivé bien plus tôt que partout ailleurs à conquérir la liberté et la propriété. En Russie, un peu plus tard, le paysan, par des procédés assez analogues, avait été non détruit, mais réduit en servage. Dans toute l’Europe centrale, la condition des classes rurales devint plus mauvaise après le XVIe siècle, et la corvée a été maintenue jusqu’à nos jours ; mais enfin le cultivateur a été reconnu propriétaire et affranchi des charges féodales dans un moment où les lois, les mœurs et les idées défendent et favorisent l’élévation des classes inférieures. Aussi gagne-t-il chaque jour du terrain. Il en est de même en France, où le nombre des petits propriétaires était déjà très grand avant la révolution. L’Angleterre est le seul pays où depuis le moyen âge la propriété a été se concentrant toujours davantage, où le cultivateur propriétaire, au lieu de gagner du terrain, a entièrement disparu.


II

Avant d’indiquer les conséquences funestes qui résultent de la grande propriété, il n’est pas inutile de faire remarquer que ce n’est pas aux grands propriétaires que l’on fait le procès. Malgré quelques tristes exemples, l’aristocratie anglaise a su remplir les devoirs que sa position lui imposait ; par son habileté dans les conseils de l’état, par sa bravoure sur les champs de bataille, par les encouragemens qu’elle a donnés à l’industrie et surtout à l’agriculture, elle a singulièrement contribué à la grandeur et à la richesse du pays. Tous les peuples, même la république américaine, lui doivent une éternelle reconnaissance, parce que, ayant conquis la liberté sur le pouvoir absolu du souverain, elle a créé cette forme nouvelle de gouvernement, le régime parlementaire, qui semble la constitution politique naturelle aux sociétés modernes. Qu’il s’agisse de rebâtir une cathédrale ou de favoriser l’étude des sciences, de fonder un hôpital ou de répandre l’instruction, il n’est point