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Napoléon fut reçu dans ses nouvelles provinces, du moins en Brabant, avec les démonstrations que la présence des souverains provoque partout où on les voit rarement, mais aussi avec cet empressement composé d’admiration et de terreur que sa prodigieuse renommée inspirait encore, surtout au sein des classes inférieures des provinces annexées. Il y avait dans les sentimens des populations à son égard quelque chose du culte que l’on rend à un dieu que l’on redoute et que l’on adore. D’ailleurs on voyait en lui le distributeur omnipotent des grâces et des faveurs, et chaque localité rivalisait de zèle pour être bien notée dans l’estime du souverain maître. On sait qu’à Breda, oublieux des recommandations qu’il faisait naguère à son frère Louis de favoriser le plus possible le catholicisme néerlandais, Napoléon terrifia le clergé catholique de la province en lui lançant à brûle-pourpoint une des plus virulentes bordées qui soient sorties de sa bouche. Y avait-il dans les éloges qu’il prodigua aux protestans par la même occasion quelque arrière-pensée de plaire à la majorité de l’autre côté du Moerdyk ? On serait tenté de le croire ; mais à coup sûr ce ne fut point pour se rendre agréable à la Hollande qu’il imagina un règlement en vertu duquel les bateliers français devaient avoir le monopole de la navigation du Rhin, et qu’il força les marchands de bois de diriger leurs grands chantiers flottans exclusivement sur Anvers, et non plus vers les ports hollandais, où ils trouvaient plus d’acheteurs et de meilleurs prix. On remarqua aussi à Amsterdam, non sans inquiétude, que le ministre de France avait été trouver Napoléon en Zélande et avait fait avec lui, sur le pied d’une grande intimité, le tour de l’archipel zélandais. Vu les dispositions connues de ce diplomate, cette entrevue confidentielle et prolongée ne présageait rien de bon. C’est vers ce temps-là que le roi de Hollande dut se soumettre à l’injonction formelle de son frère en réintégrant dans ses fonctions de bourgmestre d’Amsterdam ce M. Van de Poil qu’il venait de destituer.

Les conséquences du traité du 16 mars commençaient à se dérouler. L’armée de surveillance des côtes, commandée par Oudinot, avait son quartier-général à Utrecht. Elle ne devait compter que 6,000 Français ; cependant elle en comptait 20,000. Elle commençait son mouvement d’extension le long du littoral, et se faisait précéder partout de douaniers français. Ceux-ci, ignorant la langue du pays, habitués au sans-gêne administratif qui était devenu normal sous le régime du premier empire, traitaient les particuliers avec une rudesse jusqu’alors inconnue en Hollande. Leurs prétentions, leurs vexations excitaient partout des cris de colère, et le roi Louis, n’y tenant plus, avait ordonné l’élargissement des prisonniers dont ils