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Considérez le budget de l’état ou la fortune des particuliers, partout la richesse s’accumule et déborde.

Et pourtant, à côté de cette accumulation de capitaux auprès de laquelle les trésors si vantés de Carthage, de Tyr ou de Babylone ne sont rien, les statistiques officielles et les discussions du parlement nous apprennent que la misère gagne du terrain, et arrive à un degré imprévu et alarmant. Le paupérisme, qui avait diminué un peu, s’accroît depuis 1866. Le nombre des personnes secourues, qui était en janvier 1866 de 920,344, montait en janvier 1869 à 1,039,549 sur une population totale de 21,760,000[1]. Quoique l’an dernier 167,000 émigrans aient laissé la place libre à ceux qui restaient, lord Hamilton disait, il y a peu de jours à la chambre des communes, que le nombre des pauvres avait augmenté cette année-ci de 74,000. Il est impossible, ajoutait-il, de consulter ces tristes relevés, qui indiquent un accroissement constant de la misère depuis trois ans, sans être vivement alarmé pour l’avenir. C’est surtout dans la capitale de l’univers commercial, à Londres, que l’extension de la misère est effrayante. « Malgré les millions d’individus qui ont émigré, disait récemment le journal tory the Standard, les relevés de la première semaine du présent mois de juin nous montrent qu’il y a en ce moment, qui est le plus favorable de l’année, plus de pauvres à Londres qu’il n’y en a jamais eu à aucune époque. M. Torrens, membre du parlement, en interpellant à ce sujet M. Goschen, le ministre de la charité publique (président of the poor-law board), a donné lecture de différentes lettres émanant de pasteurs et d’industriels, et révélant dans les différens quartiers de la métropole les souffrances les plus cruelles. Le révérend docteur Lee, pasteur à Marylebone, écrit que l’hiver dernier la misère a dépassé tout ce qu’il avait vu auparavant. « Que sera-ce l’hiver prochain ? ajoute M. Torrens. Il est clair qu’aucun effort de la charité ne pourra faire face à la misère qui nous envahira ; » Dans d’autres grandes villes, à Liverpool, à Southampton, la

  1. Voici un tableau qui montre clairement la progression du paupérisme. Il est emprunté au Blue-Book récemment publié.
    1er mars Nombre des pauvres Nombre des pauvres Dépense en livres sterling Dépense en livres sterling
    années total secours à domicile totale pour secours aux pauvres
    1865 952,000 821,000 9,702,193 6,260,000
    1866 910,000 783,000 9,989,121 6,440,000
    1867 932,000 794,000 10,905,173 6,960,000
    1868 993,000 843,000 11,380,503 7,498,000
    1869 1,018,000 860,000 11,773,999 7,673,000


    La liste civile du paupérisme en Angleterre, non compris l’Ecosse et l’Irlande, a donc été l’an dernier d’environ 300 millions de francs.