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de son règne, lui avait gagné tant de cœurs. En public, il se contenait encore, mais dans sa vie privée il était devenu quinteux, bizarre, même tyrannique. Chacun savait que sa réconciliation avec la reine n’était qu’apparente. Les petites chroniques du temps prétendent même qu’il se vengeait un peu aux dépens de sa femme du rapprochement que la politique impériale avait exigé. Hortense, plus ennuyée que jamais de son séjour forcé en Hollande, était jusqu’à un certain point aux arrêts, c’est-à-dire que ses allées et venues étaient soumises à un règlement sévère. Elle ne pouvait s’éloigner d’Amsterdam au-delà d’un certain périmètre. Elle n’y put tenir, et, coûte que coûte, elle voulut rentrer en France. Elle se plaignit de l’altération graduelle de sa santé, et demanda au roi la permission de changer d’air. Au fond, Louis n’était pas méchant, et les raisons de santé pesaient toujours d’un grand poids dans son esprit. Il l’autorisa à se fixer pour quelque temps au château du Loo. La reine partit ; mais, grâce au zèle de quelques serviteurs dévoués qui prirent leurs mesures avec autant de secret que d’activité, à peine arrivée dans cette résidence, elle monta en chaise de poste, et ne s’arrêta que lorsqu’elle fut en France. Le roi reçut de Plombières même, où elle comptait séjourner, la nouvelle simultanée de son départ et de son arrivée à bon port. Elle avait laissé le prince royal auprès de son père.

Ce n’était pas la seule contrariété que le roi eût à subir. Le ministre de France était toujours là, hautain, blessant, n’observant pas même, quand il s’adressait au roi, les égards qu’il devait tout au moins au frère de son maître. Louis Bonaparte, dont la susceptibilité, toujours prompte à s’émouvoir, était fortement avivée par ses récens déboires, redoutait presque de rencontrer de nouveau ce regard froidement ironique où il lui semblait lire l’expression de la moquerie. A son retour, il avait profité en hâte d’un moment où le ministre de France était absent pour recevoir le corps diplomatique, et il avait traité le chargé d’affaires, M. Serrurier, avec une extrême froideur. Napoléon et Marie-Louise allaient faire, dans les premiers jours de mai 1810, une tournée officielle dans les provinces récemment annexées. Louis était forcé par sa situation d’aller présenter ses hommages à son frère pendant que celui-ci se trouvait dans son voisinage. Il préféra se rendre à Anvers, qui était français depuis 1795, plutôt que de paraître à Breda ou à Bois-le-Duc, villes brabançonnes qui venaient d’être réunies. L’entrevue de la part de Louis fut froide, bien que Napoléon l’eût reçu avec une cordialité qui ne lui coûtait guère quand il était content. Louis refusa d’assister aux fêtes brillantes qui se donnaient à l’occasion de la visite impériale, et repartit peu d’heures après son arrivée.