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l’Angleterre offre de tels contrastes de bien et de mal, de prodigieuse prospérité et d’extrême indigence, que l’homme d’état et l’économiste en demeurent confondus, ne trouvant pas d’explication au problème dans la science généralement reçue. Le public alors, voyant que sur le continent des pays beaucoup moins riches que la Grande-Bretagne ne connaissent point de pareils maux, arrive à se demander s’il n’en faut pas chercher la cause dans les lois qui font de la propriété non la récompense naturelle du travail et de l’épargne, mais le monopole exclusif de quelques grandes familles.

Considérons un moment l’étrange situation de l’Angleterre. La richesse de cette petite île dépasse tout ce que l’imagination peut concevoir, et se compte par des chiffres si grands que, comme pour les espaces planétaires, l’esprit peut à peine saisir ce qu’ils représentent. D’après les calculs d’un journal spécial dont l’autorité est acceptée par tous, l’Economist, rien que l’épargne annuelle montait il y a cinq ans à 2 milliards 1/2 de francs, soit 100 francs par tête ou 450 francs par famille. Grâce au charbon et au fer dont leur île abonde, grâce surtout à leur aptitude pour le travail, à leur génie industriel, au soin qu’ils ont d’appliquer en tout les découvertes de la science, les Anglais sont devenus les maîtres du marché de l’univers. Ils produisent mieux et à meilleur compte que les autres peuples. Leur marine dépasse celles de toutes les autres nations réunies, si on excepte les Américains, leurs rivaux. Les énormes bénéfices que leur procurent le commerce et l’industrie, ils les ont placés d’abord dans leur île, qu’ils ont sillonnée de canaux, de chemins de fer, de télégraphes, et couverte d’usines ; puis, quand ce champ d’emploi est devenu trop peu rémunérateur, ils ont été au loin, sous toutes les zones, offrir leurs capitaux pour fonder des banques, établir des voies ferrées, créer des ports, exploiter des mines ou cultiver le sol. Les profits et les bénéfices de ces placemens refluent chaque année vers l’Angleterre, qui est devenue le centre du monde commercial, le pôle d’attraction de la richesse de l’univers. Des placers de l’Australie et de la Californie, deux grands courans dirigent sans interruption vers la Banque de Londres leurs flots d’or. Les produits les plus précieux des deux hémisphères suivent le sillage, commandés pour satisfaire les besoins d’un peuple de millionnaires. Dans les villes, dans les campagnes, s’élèvent des palais par centaines de mille. A force de soins et de « sélection » intelligente, on est arrivé à donner à tous les animaux, chevaux, moutons, bœufs, à tous les produits du travail humain et à l’homme lui-même, un degré de perfection inconnu ailleurs. La dette publique se rembourse, le revenu augmente sans cesse, et, malgré des réductions constantes d’impôts, s’élève constamment au-dessus de la dépense.