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sommes sauvés. » Nul sans doute ne prévoyait encore la guerre de Russie et ses terribles suites ; mais les Hollandais avaient quelque sujet de croire que l’essentiel était de gagner du temps et de conserver au moins un noyau national, portant le nom et pouvant revendiquer un jour les droits historiques de la vieille Néerlande. L’érection du trône de Louis n’avait pas garanti, comme ils s’en étaient flattés dans le temps, l’intégrité de leur territoire ni protégé les restes de leur commerce contre les idées fixes de l’empereur en matière de blocus ; mais l’arrangement qui venait d’être conclu, au moment où l’on se croyait sous le coup d’une réunion immédiate, semblait prouver que l’empereur s’arrêterait devant l’idée de détrôner son frère. Il importait donc à la Hollande de conserver son roi, et il eût été absurde de lui rendre sa position plus pénible encore par des marques de désaffection.

Le roi n’en était pas moins rongé de soucis. Il ne pouvait, comme ses sujets, fonder ses espérances d’avenir sur la dislocation éventuelle de l’empire ou sur la mort de son frère. En définitive, il avait besoin de l’empereur pour rester sur le trône. Quelle certitude avait-il que la Hollande, un jour rendue à elle-même, entièrement libre de ses mouvemens, voudrait conserver la monarchie et, dans cette hypothèse, le garder lui-même ? Il était bien forcé de se poser ainsi la question. Sous les coups redoublés d’une rude expérience, les Hollandais oubliaient tous les jours davantage leurs anciennes divisions. Ex-orangistes, ex-patriotes, ex-patriciens, tous ou presque tous se disaient : « Nous avons fait les uns et les autres bien des sottises, nous aurions bien mieux fait de nous entendre ; à l’avenir, soyons plus sages. » L’esprit national prévalait sur les vieilles dissidences, l’opinion hollandaise marchait logiquement vers un compromis fondé sur des concessions mutuelles, et un œil perspicace eût vu déjà poindre le moment où la solution universellement acceptée serait le retour de la maison d’Orange joint à la promulgation d’une constitution égalitaire et libérale. Cependant l’esprit public était encore bien affaissé, bien énervé par les événement, les déceptions, les misères, et dans la conscience de cette espèce de ramollissement de la fibre nationale, tout le monde se disait : Gardons ce que nous avons, et attendons.

Le roi cherchait à se donner le change sur la nature de l’affection qu’on lui témoignait. Il eût désiré être autre chose qu’un en cas estimable et rencontrer chez son peuple des sympathies qui pussent aller jusqu’au dévoûment pour sa personne et sa dynastie. Parfois il croyait trouver la preuve qu’on tenait à l’une et à l’autre ; dans d’autres momens, il avait un vague soupçon de la réalité. L’esprit aigri par les humiliations et les contrariétés qu’il avait essuyées, il avait perdu beaucoup de cette aménité qui, dans les premiers jours