Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/335

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

historiques, littéraires ou scientifiques, et des livres de classe ont eu jusqu’à treize éditions, qui ont donné 282,000 exemplaires. Au reste, le mouvement littéraire gagne chaque jour du terrain dans l’empire anglo-indien. Les Hindous des classes élevées lisent et écrivent. Ils se servent de la presse pour répandre leurs pensées. Le nombre des publications quotidiennes, hebdomadaires ou autres dans les langues nationales augmente chaque jour.

Des associations de tout genre se propagent également parmi les indigènes. Elles ont leurs séances périodiques, dans lesquelles on discute des sujets de diverse nature, mais particulièrement d’économie sociale. Ces réunions présentent l’ordre le plus parfait. Les orateurs s’adressent au président, et leurs discours sont recueillis par le secrétaire et souvent confiés à la presse. Dans l’Oude, le club des taloukdars a une tendance politique. Dans leurs réunions, il n’est pas rare de les entendre traiter de leurs droits et de leurs privilèges. Sans doute le mouvement n’est encore qu’à la surface, mais l’on peut affirmer avec une entière certitude qu’il pénétrera insensiblement la masse tout entière. L’on ne peut supposer un instant que la race hindoue, lorsqu’elle aura pris possession d’elle-même. par là civilisation moderne, puisse rester dans une position peu digne d’un grand peuple et subir le joug d’une poignée d’étrangers que le mercantilisme a conduits dans leur patrie, et qui en soutirent les richesses en dépit d’un climat qui les tue. Ils n’ignorent pas que toutes les améliorations dont les Anglais dotent leur pays n’ont pas d’autre but que d’y asseoir plus solidement leur domination. Aussi se tiennent-ils toujours à distance de leurs maîtres. En dehors de leurs relations officielles, il n’y a aucun contact entre les deux sociétés. La table, qui est un puissant lien de sociabilité, ne se dresse jamais entre les deux races, et quand un prince donne un festin et y invite des Anglais, il ne s’assied jamais avec eux. Est-ce scrupule religieux, mépris, haine, répulsion de race ? Voilà ce que la conscience de l’Hindou ne révélera pas. Si le christianisme réussit à se substituer au brahmanisme, cet éloignement pourra cesser ; mais un bien plus grand danger menacera la domination anglaise. Parvenus à une égalité de foi religieuse et d’intelligence avec leurs maîtres, les Hindous pourrons-ils rester plus longtemps sous une si humiliante tutelle ? Quand toute une race atteindra sa majorité, n’en ré-clamera-t-elle pas les bénéfices ? La proclamation de son indépendance peut encore être fort éloignée, mais elle est à l’horizon, et l’heure’ sonnera où l’Angleterre verra se dresser tout à coup aux Indes un grand peuple décidé à être maître chez lui.


C. CAILLIATTE.