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en tête de la liste. Divisé en circonscriptions scolaires, la première, celle de Lahore, compte. 147 écoles avec tendance au progrès, tandis que les autres sont stationnaires ou diminuent en nombre. L’inspecteur Hutton a trouvé d’excellentes pages d’écriture dans l’école de Nizaboudine, et quelques-unes des jeunes filles lui ont lu assez couramment dans le Khat i Taghir et le Wakiat i Hind, « mais il est fort difficile, dit-il dans son rapport, de faire subir des examens aux jeunes Hindoues, car elles parlent derrière un écran, et l’on ne sait pas si c’est l’élève ou la maîtresse qui répond. »

Le Bengale, qui est divisé en quatre circonscriptions, ne compte qu’un chiffre fort restreint d’écoles de filles subventionnées par le gouvernement ; mais par contre l’enseignement privé ou libre s’y développe d’une manière heureuse. Les pundits l’encouragent et se montrent très favorables à l’éducation des femmes. Aussi voit-on maintenant un bon nombre de dames hindoues lire et écrire correctement. Cependant le mouvement général n’est qu’imperceptible. Le directeur de l’instruction publique de la présidence de Bombay dit qu’aux Indes l’éducation des femmes est incompatible avec le mariage contracté dans l’enfance et une foule de coutumes et de préjugés d’une nature fort délicate. Il faut attendre que les hommes soient sérieusement entrés dans le grand courant de la civilisation moderne, qu’ils soient ouverts à tous les progrès des lettres, des sciences et des arts, pour qu’ils entraînent leurs femmes à leur suite. Ce travail est celui du temps. La société hindoue devra subir un changement profond qui atteindra le sentiment le plus intime et le plus impératif de la nature humaine, le sentiment religieux. Ce sont les formes que prend ce sentiment ou plutôt que les prêtres lui donnent, ou, en d’autres termes, ce sont les religions qui donnent aux mœurs leur caractère et font les civilisations. Leur influence sur l’homme est incalculable ; ce sont elles qui l’élèvent ou l’abaissent, paralysent ou développent son intelligence. A l’origine, le brahmanisme n’était qu’un déisme dont le culte était simple et rationnel. Ce n’est pas ici le lieu de dire comment il s’est transformé, et par quel moyen il est devenu la religion qui détruit les germes du progrès par la division des castes et sous-castes, lui impose l’immobilité, l’enveloppe d’un inextricable réseau de pratiques superstitieuses et stupides, et le retient même dans une grande faiblesse corporelle en ne lui permettant pas d’apporter à son régime alimentaire cette variété de comestibles qui fait la force et la santé de l’homme ; mais plus une religion descend dans les détails intimes de la vie, plus l’homme s’y attache : elle devient partie intégrante de son existence, il ne se sent vivre que par elle, et si elle vient à lui manquer, le vide qu’elle laisse lui est insupportable. Aussi