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maladie l’avait affaibli de corps et d’esprit. Les nouvelles qu’il recevait de Hollande l’inclinaient à la soumission, pourvu qu’on lui conservât la couronne. Ver Huell le pressait d’accepter les conditions posées par l’empereur. Roëll, tout en s’obstinant dans ses idées de résistance, n’indiquait pas de moyens pratiques pour les réaliser. Ce qu’on apprenait des résultats de la mission Labouchère n’avait rien d’encourageant, tant s’en faut. Un fait des plus graves mit un terme aux irrésolutions du roi.

Parmi ses ministres, le général Kraijenhof, chargé du portefeuille de la guerre, était à peu près le seul qui parlât « de faire sauter le vaisseau de la patrie plutôt que de le rendre. » Bien que Louis eût toujours apporté quelques réserves à ses ordres concernant la mise d’Amsterdam en état de défense, ses dernières lettres, une surtout qu’il avait écrite peu de temps avant de tomber malade, avaient fait cesser les hésitations du général. Il avait une très haute idée de la force défensive d’Amsterdam. Il est certain qu’en s’y préparant à temps, on peut rendre cette ville à peu près imprenable. Il suffit pour cela de couper la langue de terre qui, au nord de Leyde, séparait le lac de Harlem de la Mer du Nord, et d’inonder les polders situés entre ce lac et le Zuiderzée. La Nord-Hollande devenait par cela même une île séparée du continent par un bras de mer de deux lieues au moins de large, et sur lequel on ne pouvait mettre à flot tout au plus que des nacelles. Si la puissance ennemie n’était pas de première force sur mer, il était facile de comprendre qu’à l’abri d’une pareille ceinture, Amsterdam, ravitaillée du dehors, pouvait résister très longtemps à un adversaire bien supérieur en nombre. Les autres ministres de Louis hissaient faire leur collègue. Ils voyaient ce que signifiait le prétendu cantonnement des troupes françaises en Brabant et en Zélande. La réalité était qu’elles en avaient pris possession dans toute l’étendue du mot. Qu’arriverait-il, si elles recevaient l’ordre d’aller occuper aussi la Nord-Hollande et Amsterdam même ? Il n’y avait pas pour elles plus de raisons de s’arrêter à la Meuse qu’il n’y en avait eu pour les empêcher de franchir le Moerdyk. Kraijenhof fît donc ses préparatifs aussi diligemment que le secret rigoureux qu’il devait garder le lui permettait. Il voulait être prêt, de manière qu’en deux ou trois jours, si les sombres prévisions du cabinet venaient à se réaliser, Amsterdam se dérobât aux envahisseurs derrière son rempart aquatique ; mais l’envoyé de France avait des affidés partout, même au ministère de la guerre. Le plan secret de Kraijenhof lui fut livré par un employé des bureaux, il se hâta d’en instruire sa cour, et l’on peut juger de la colère de l’empereur. Le roi, décontenancé par ses apostrophes, rejeta tout sur ses ministres. — « Renvoyez donc le ministre de la guerre et le ministre par intérim des affaires