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1864 et 1867, Calcutta a été visitée par des ouragans dont la violence dépasse toute idée. Le premier commença le 5 octobre à quatre heures du matin, et dura jusqu’à dix heures. Après un calme trompeur d’une heure, la bourrasque revint avec une nouvelle furie, et conserva sa violence jusqu’à deux heures. Ses effets désastreux s’étendirent sur une surface de 100 milles de diamètre. Aucune description ne peut reproduire les scènes qu’enfante un cyclone. L’Hougly, qui peu d’instans après était aussi uni qu’un miroir, paraissait comme atteint de folie furieuse. Il rejetait ses eaux par masses de 15 à 30 pieds de hauteur jusqu’à 8 milles dans les terres, se jouant des digues les mieux construites et balayant devant lui bestiaux, hommes et villages. Dans l’île de Sangor, sur une population de 6,000 âmes, 4,500 personnes furent enlevées et englouties dans les eaux.

Le port de Calcutta, où l’on apercevait la veille une véritable forêôt de mâts, n’en contenait plus un seul après le cyclone : 155 vaisseaux avaient été jetés sur le rivage. L’Allié, qui venait de recevoir dans ses flancs 335 coulies, sombra avec la presque totalité de sa cargaison humaine. L’Alligator, un puissant remorqueur, fut lancé dans une jungle. L’Amiral Casey se trouva au milieu d’une rizière. Deux autres vapeurs ne firent qu’un saut de la rivière dans un jardin, le Comte de Clare fut porté sur un monceau de ballast. 134 navires subirent de graves avaries, et 36 furent perdus. Ces détails peuvent nous dispenser de décrire les scènes dont Calcutta fut le théâtre. Les rues étaient encombrées d’arbres déracinés, de débris de toits, de vérandahs, de portes, de murs, de clochers. Les feuilles de plomb ou de zinc qui couvraient les toits avaient été roulées et chassées comme du papier. Avenues, jardins, promenades, tout était détruit. Les faubourgs, qui avaient reçu le premier choc, ne présentaient qu’un monceau de ruines : plus de 20,000 personnes y perdirent la vie.

L’Inde est une terre exceptionnelle qui ne protège que ce qu’elle produit. Tout ce qui lui est étranger, hommes, animaux, plantes, dépérit. Jamais la race anglo-saxonne ne pourra s’y acclimater. Les sanitaria[1] placés sur les hauteurs des chaînes himalayennes ne sont que des palliatifs auxquels les riches seuls peuvent recourir. L’Anglais paie chaque jour qu’il passe aux Indes de quelque parcelle de sa santé et de ses forces morales : toutes les illusions que l’or s’était faites à ce sujet sont dissipées ; c’est une déperdition quotidienne qui atteint l’âme comme le corps. Il cherche en vain cet échange d’idées, ces associations intellectuelles, ce mouvement

  1. Lieux choisis pour l’air pur qu’on y respire, et où les Anglais vont passer l’été.