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présent que vous donnez vous-même l’ordre de les admettre, tout le monde en Hollande s’en prendra à vous ! » — « Point du tout, car en laissant entrer tout bonnement vos troupes sans discussion, c’eût été une reconnaissance tacite de la prise de possession en votre nom, tandis qu’à présent il est sûr au moins qu’elles ne sont admises que comme garnison et pour faire occupation militaire. » — « Vous auriez donc peut-être aimé ne pas les recevoir ? » — « Certainement. » — « Et pourquoi ? » — « Pour ne pas exposer mes sujets à ce que vous les fassiez sortir de leurs maisons, comme vous l’avez fait, il y a deux ans, avec deux habitans de Breda, qui, tout innocens qu’ils fussent, ont été enfermés des mois entiers dans les prisons de la France. » — « Je vous ai déjà répété plusieurs fois que mon intention est que vous abdiquiez. Je vous le répète encore : redevenez prince français, et vous pourrez avoir une vie agréable et sans soucis. » — « Vous pouvez me faire descendre du trône, je n’ai pas les moyens de m’y opposer ; mais, n’étant plus roi de Hollande, jamais vous ne sauriez me contraindre à rester prince français. » — Là-dessus le roi partit avec l’intention de prendre la route de Hollande le lendemain matin 20 janvier.

A peine était-il rentré chez madame-mère, où il continuait de recevoir l’hospitalité, et comme il racontait au baron Roëll la conversation que nous venons de reproduire, on vit devant la porte de l’hôtel trois hommes à moustache, dont les habits bourgeois ne déguisaient qu’imparfaitement la profession. C’étaient des gendarmes d’élite qui se plantèrent en faction devant l’hôtel, et ne bougèrent plus que pour être relevés par d’autres. Le roi de Hollande était gardé à vue par ordre de son frère !

Quelques jours après, la reine de Naples vint voir Louis et fit ce qu’elle put pour le décider à l’abdication. Le 28, le roi écrivit une lettre navrante à son frère. « Sire, lui disait-il, je prie votre majesté de m’écouter une dernière fois ; ce n’est pas seulement à l’empereur que j’adresse ma prière, c’est à mon frère, c’est à lui principalement que j’ai recours en ce moment de peines et d’angoisses. » Suivaient des plaintes bien naturelles sur les rigueurs dont il était l’objet, sur la position aussi humiliante que pénible qui lui était faite. Son devoir sacré était de ne point abandonner ses sujets au sort qui les attendait sans leur faire connaître la situation et leur bien montrer qu’il n’avait pas dépendu de lui de détourner les malheurs qui les menaçaient. Sa présence en Hollande était au moins nécessaire pour que les choses pussent se passer légalement et paisiblement. Si l’on continuait de le retenir, il serait toujours le roi de Hollande aux yeux des Hollandais ; à son défaut, ce serait le prince royal qu’ils regarderaient comme leur souverain. Il demandait avant tout de pouvoir quitter son rang avec honneur. En même