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sache que votre majesté est satisfaite, je serai bien récompensé des peines que j’éprouve pour les surmonter. Je la conjure de me le faire savoir[1]. »

Le tout était expédié à Tercier avec ce mot où éclatait une colère trop longtemps contenue et presque doublée par la nécessité du respect : « Si on ne trouve pas moyen de mettre ordre à tout ceci, je vous préviens d’avance qu’il est impossible que je tienne ici ; je n’y serais d’aucune utilité aux affaires du roi. Ma santé se perdrait absolument, et il en résulterait un air de mépris pour l’ambassadeur de sa majesté qui insulte le maître lui-même… Toutes que je demande, c’est l’ordre de soutenir les choses de la manière dont sa majesté me l’avait prescrit ou de les abandonner : procurez-le-moi, monsieur, car le mezzo termine n’est plus possible[2]. »

Le roi n’avait probablement guère envie de répondre, il le fit pourtant ; mais devinerait-on jamais comment ? Éludant la question qui lui était posée, faisant même semblant de ne pas la comprendre, il se garda bien de donner aux efforts du comte ni l’encouragement précis, ni surtout le but défini qu’on lui demandait ; il se bornait à l’engager à tenir ses amis en éveil et à s’en remettre, pour la désignation du candidat futur à la couronne, à la liberté des Polonais ; puis il se jeta par la tangente dans des considérations de haute philosophie politique sur les vices de la constitution polonaise comparés à ceux de la constitution, britannique, et, après avoir fait chiffrer cette utile dissertation tout comme s’il se fût agi du plus important secret d’état, il l’envoya, par courrier à son ambassadeur intime, dont elle dut diminuer singulièrement, on le pense bien soit l’impatience, soit l’embarras. Précisément au moment où la dépêche arriva, un dernier affront lui était fait par la cour de Saxe, qui comblait la mesure et achevait de le perdre sans retour. D’importantes starosties étant venues à vaquer, par la mort de la reine de Pologne, qui disposait, des revenus de ces hauts emplois pour ses dépenses personnelles, la distribution en fut faite par le comte de Brühl. A tous les chefs de la faction russe, en ayant soin d’exclure nominativement tous ceux que le comte de Broglie avait cru pouvoir recommander. Le grand-général en particulier, qui avait jeté son dévolu sur une partie de cette riche succession, se vit évincé sans un mot d’excuse. « Vous connaissez, trop la Pologne, écrivait le comte de Broglie à Tercier, pour ne pas sentir l’importance de ceci. » Effectivement deux jours après le comte recevait un billet du

  1. Le comte de Broglie au roi, 21 novembre, 2 décembre 1757. (Correspondance secrète ; ministère des affaires étrangères.)
  2. Le comte de Broglie à Tercier, 2 et 20 décembre 1757. (Correspondance secrète, ministère des affaires étrangères.)