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le cadre étroit où on le tenait enfermé, il n’y avait pas moyen de s’entendre.

Les plaintes dont le chevalier Douglas était chargé trouvèrent donc chez le nouveau ministre une oreille assez facilement ouverte ; mais, outre que l’abbé de Bernis était naturellement d’humeur douce et de formes polies, le comte de Broglie devait à sa conduite de l’année précédente une réputation de capacité et de courage qui ne permettait pas de lui rompre en visière tout de suite avec hauteur. Un vague soupçon s’était répandu d’ailleurs à la cour sur les relations particulières qu’il entretenait avec le roi. C’était assez pour qu’un ministre, tout en le surveillant avec une jalousie par là même plus ombrageuse, se crût pourtant obligé dans la forme à quelques égards. Aussi les premières observations, adressées au comte par le ministre furent-elles assez douces et sur le ton du conseil amical plus que de la réprimande. On lui reprochait surtout de ne pas ménager assez le comte de Brühl et d’oublier, dans ses manières de parler de la Russie, que cette cour impériale était désormais l’alliée de la France. « Ne pouvant avoir, lui disait-on, un autre ministre que le comte de Brühl, avec qui nous avons journellement à traiter, convient-il de l’irriter et de le mettre dans le cas de retarder pour se venger les résolutions qu’on doit prendre de concert, et d’inspirer au roi son maître des sentimens qui peuvent produire de mauvais effets ? C’est vous exposer à négocier avec lui d’une manière désagréable et embarrassante pour le service du roi… Vous n’ignorez pas, ajoutait le ministre avec une bienveillance réelle ou affectée, que bien des gens vous ont cru et vous croient encore opposé au système actuel. Je n’entrerai point dans la discussion de ce système, dont on ignore la totalité, et sur lequel on ne peut former que des conjectures ; mais vous êtes trop bon serviteur du roi pour ne pas le suivre, puisque sa majesté a cru devoir l’adopter, ce dont vous n’avez cessé de donner des preuves dans toutes vos lettres, et principalement dans votre conduite en Saxe et à Vienne… On ne peut certainement avoir plus d’application que vous n’en avez à veiller sur toutes les parties qui intéressent le service du roi, ni plus de sagacité pour découvrir ce qu’il importe de savoir, ou du moins pour mettre sur la voie de ce qu’on cherche à cacher. Le conseil vous rend, monsieur, justice entière sur cet article ; mais on ne peut se dispenser de désirer un peu moins de-vivacité de votre part vis-à-vis d’un ministre qui jouit de la faveur de son maître… Quant à la Russie, sa majesté ne s’est point réunie avec l’impératrice pour continuer à se conduire sur les principes qu’elle suivait précédemment à cette réunion. L’intérêt des alliés est commun, et les mesures doivent être communes… Quand les Polonais font des plaintes de la