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(le prince Charles avait remplacé le maréchal Braun dans le commandement de l’armée assiégée). Je me suis chargé avec plaisir de ce dernier objet, sur lequel mon séjour dans cette ville pendant le siège que nous y avons soutenu m’a donné quelques lumières. La direction de la grande armée demanderait, pour s’en charger avec succès, des connaissances préliminaires de sa force effective, de l’esprit qui y règne, de la capacité des généraux, des moyens de subsistance qu’on y a, et enfin des pays où on doit manœuvrer. Comme tous ces détails me sont inconnus, je me suis excusé de traiter avec la moindre décision des objets de cette importance. Par les notions que vous avez de la cour de Vienne, monsieur, vous pourriez être étonné du ton de modestie et de douceur qui y règne actuellement. Les circonstances y contribuent sans doute infiniment : je m’imagine bien que c’est à elles que je dois en partie la confiance qu’on m’y témoigne et les politesses de tout genre qu’on a pour moi. Cela ne m’empêche pas d’être reconnaissant particulièrement des bontés dont l’impératrice-reine m’honore, qui sont au-delà de toute expression. Quant au comte de Kaunitz, je pense qu’il n’a pas été fâché de m’entretenir sur les affaires militaires, dont, malgré l’étendue de ses lumières, il est un peu moins instruit que de toute autre chose… Vous voyez que je ne suis pas ici absolument oisif… » Et le 5 juin il écrivait encore au même correspondant : « Je travaille toujours au projet de réunion des deux armées, qui, je pense, réussirait, s’il était bien exécuté ; mais je n’ai aucune confiance dans les ouvriers. Enfin il faut se servir de ce qu’on a et tâcher de rendre la besogne plus facile par la clarté avec laquelle elle est expliquée,.. » Puis enfin le 12 il reprend ainsi : « Je compte me mettre en route dès que la jonction sera opérée. Comme je dirige d’ici, autant qu’il est possible de le faire de loin avec des généraux peu intelligens, cette opération, je ne saurais la laissera moitié[1]. »

L’équitable histoire doit convenir que le comte de Broglie était vraiment ici trop dédaigneux pour les ouvriers qu’il trouvait sous sa main, et le maréchal Daun ne tarda pas à montrer qu’il ne méritait pas entièrement cette appréciation sévère. La jonction préparée par le comte n’eut pas lieu, parce que Frédéric, qui la redoutait, averti de l’approche de l’armée de secours, se décida brusquement à se porter au-devant d’elle. Il rencontra le maréchal Daun à 12 lieues environ de Prague, campé sur les hauteurs de Kollin, derrière un profond ravin coupé d’étangs. La position choisie par le général autrichien était presque inexpugnable, et Frédéric, enivré

  1. Le comte de Broglie à M. Durand ; Vienne, 25 mai, 6 et 12 juin 1757. (Correspondance officielle, ministère des affaires étrangères.) J’ai trouvé de plus dans des papiers du comte de Broglie de la même date une correspondance suivie avec des officiers de l’armée autrichienne qui atteste la part qu’il prit à la direction de cette campagne.