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comte à ces injonctions confuses qu’il essayait vainement de débrouiller, que votre majesté voudra bien considérer les difficultés qu’il y a à concilier tous les intérêts qui se trouvent confondus dans l’exécution des ordres qui m’ont été remis par son commandement ou par le canal de M. de Rouillé ; j’ai d’autant plus besoin de son indulgence que je ne saurais compter sur celle de la partie prépondérante de son conseil. Plusieurs de ses ministres voudraient que je fusse entièrement hors de la carrière politique… Votre majesté sait qu’il n’a pas tenu à moi de leur donner satisfaction : j’ai lieu de craindre qu’ils ne persistent dans leur dessein, et qu’ils ne cherchent dans mon travail des motifs d’un rappel qui me serait alors bien douloureux[1]. »

Une seule consolation restait à notre triste ambassadeur au moment de s’engager de nouveau dans ce filet d’intrigues, où il allait compromettre encore, cette fois sans illusion et sans espoir de succès possible, son ambition et son honneur. Il laissait à la cour, en qualité d’intermédiaire de sa correspondance avec le roi, non plus un prince dont il lui fallait ménager le pusillanime égoïsme, mais un ami sûr et discret, dans le sein duquel il pouvait épancher en confiance l’amertume de ses douleurs privées et de ses colères patriotiques. En se séparant du prince de Conti, le roi lui avait donné l’ordre de remettre tous les chiffres et toutes les pièces de la correspondance secrète entre les mains de M. Tercier, premier commis des affaires étrangères, qui devait désormais, à l’insu des ministres et sous l’œil royal, tenir et diriger tous les fils de ce commerce clandestin. Lebel, valet de chambre du roi, était chargé de porter et de rapporter lettres et réponses du palais à la demeure modeste de M. Tercier, et, sauf les grandes occasions où il était autorisé à écrire au roi lui-même, c’était à Tercier aussi directement que le comte devait adresser ses informations.

Le poste de premier commis des affaires étrangères était dans notre ancienne organisation diplomatique un emploi à la fois très obscur et très important. Largement rétribué (le traitement n’était pas moins de 80,000 francs de la monnaie d’alors), il avait été calculé pour suffire aux vœux d’une suite d’hommes de mérite inconnus, appelés à tout diriger sans jamais paraître, à tenir en main la clé de tous les secrets d’état sans que leur naissance et la nature de leurs services leur permissent d’aspirer, même par le plus lointain espoir, à l’éclat du premier rang. Supérieurs des ambassadeurs, dont ils dictaient les instructions et contrôlaient toutes les

  1. Le comte de Broglie au roi, 25 février et 2 mai 1757. (Correspondance secrète, ministère des affaires étrangères.)