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ambassadeur qui fit prendre patience aux Polonais ou les entretint d’illusions. Il signifia sèchement au comte de Broglie qu’il le condamnait sans rémission à cette tâche ingrate. « J’ai très bien vu, lui répondit-il, comte de Broglie, dans toutes vos lettres que vous aviez de la peine à adopter le nouveau système que j’ai pris. Vous n’êtes pas le seul, mais telle est ma volonté, et il faut que vous y concouriez. A l’égard de M. le prince de Conti, c’est lui qui me boude parce que je lui ai dit que je ne l’avais pas destiné de commander l’armée qui doit s’assembler dans le Rhin. Je croyais être maître de mes choix ; tant pis pour lui, c’est tout ce que je vous en puis dire… » Et le 2 janvier, revenant plus impérieusement encore à la charge, il ajoutait : « Je trouve très bon, comte de Broglie, que vous me fassiez toutes les représentations que vous croirez devoir me faire et à mes ministres ; mais ayez toujours en vue l’union intime avec Vienne, c’est mon ouvrage. Je le crois bon, et je le veux soutenir. Dans ces circonstances, je crois votre présence très nécessaire à Varsovie ; vous êtes aimé et estimé des Polonais, et un nouveau ministre ne serait pas capable de leur faire faire bien des choses qu’il faut qu’ils fassent sans y abandonner notre parti, car je le veux soutenir. C’est leur bien et leur liberté. Ainsi je vous conseille d’abandonner l’idée de Vienne et de n’être pas si changeant, surtout après que je vous ai tenu mes promesses et que je vous crois capable de me bien servir encore… Si j’en avais connu un autre qui eût pu bien me servir en Pologne, je vous l’aurais préféré pour satisfaire votre désir de servir dans mes armées ; mais, n’en ayant pas trouvé, je compte que vous m’y servirez de tout votre mieux[1]. »

A cet ordre sans réplique ne tardèrent pas à se joindre les supplications de la dauphine, qui pressa vivement le comte d’aller reprendre auprès de ses parens son poste de consolateur officiel. Au premier souffle du printemps, il fallut donc penser à faire ses paquets. Avant de partir, le comte voulut tenter un dernier effort pour obtenir au moins quelques explications nettes sur le rôle qu’il allait jouer dans le pays sacrifié où on le renvoyait. Plusieurs mémoires remis à M. de Rouillé posaient nettement les questions suivantes : voulait-on ou ne voulait-on pas intéresser la Pologne dans la lutte contre Frédéric en promettant à la maison de Saxe un agrandissement qui la ferait renoncer à sa couronne élective et en laisser la disposition an parti français et national ? l’autorisait-on à parler en ce sens tant au ministre saxon qu’aux patriotes ? Puis, dans des lettres privées, il pressait le roi de lui dire quel rôle secret il aurait désormais à jouer à Varsovie ? quelles espérances à donner à

  1. Le roi au comte de Broglie, 24 décembre 1756, 22 janvier 1757,11 mars.