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malignes ou typhoïdes ; nos médecins militaires, en découvrant sur les côtes de la Grèce et de l’Algérie les lièvres rémittentes ou pseudo-continues qui règnent dans les contrées chaudes, ne se doutaient pas qu’ils avaient affaire à la maladie si bien étudiée par l’école de Cos. C’est à M. Littré que l’on doit la révélation de l’identité de cette maladie et de celle qui domine encore aujourd’hui dans les mêmes régions ; on comprend toute la fécondité d’une pareille remarque.

La création d’une chaire d’histoire de la médecine au Collège de France a été le premier pas fait pour relever une branche de l’enseignement qui était tombée en disgrâce. M. Daremberg, qui la remplit, vient de réunir en deux forts volumes les leçons qu’il a consacrées à l’histoire générale des sciences médicales depuis les temps les plus reculés jusqu’au commencement de ce siècle. Ce qui distingue ce cours, c’est qu’il ne quitte jamais le terrain des faits. M. Daremberg puise aux sources ; il cite beaucoup, peut-être trop, car il ne faut pas que l’érudition étouffe la pensée. Nous devons dire ici que depuis trente ans les sources de l’histoire se sont épurées par la découverte d’une foule de textes anciens ou modernes. La critique historique s’est exercée sur ces matériaux ; elle a détruit bien des préjugés enracinés et mis au jour bien des faits imprévus. On a démêlé ce qui, dans la collection hippocratique, peut être attribué avec vraisemblance au grand médecin de Cos ; on a secoué la poussière qui depuis des siècles recouvrait les manuscrits de la première moitié du moyen âge, cachés dans une foule de bibliothèques. C’est une prévention surannée que de croire que pendant toute cette époque l’ignorance et la superstition ont régné sans partage, et notamment qu’il existe une lacune dans la tradition médicale. Les barbares, que l’on accusait d’avoir étouffé sous leurs pas les sciences cultivées par l’antiquité, n’ont pas été aussi barbares qu’on l’a dit. Athalric, roi des Ostrogoths, ordonnait de continuer leur traitement aux professeurs publics ; « ne méritent-ils pas, disait-il, d’être payés au moins aussi bien que les acteurs ? » La médecine ne fut pas déshéritée ni délaissée, et comment l’aurait-elle été, puisque les maladies n’avaient pas disparu ? On continuait d’écrire, de traduire, de collectionner des manuscrits. Il y avait, dès le VIe siècle, de véritables ateliers de traduction qui pourvoyaient aux besoins des peuples nouveaux. On possède encore, à Paris même, des manuscrits du VIIe siècle qui renferment des traductions d’Oribase en lettres onciales, des manuscrits du IXe où sont conservées des versions d’Hippocrate, de Galien, d’Alexandre de Tralles. Ainsi les royaumes barbares affranchis du joug romain n’ont jamais manqué ni de médecins ni d’enseignement médical. C’est pour avoir ignoré ce point d’histoire que l’on s’est mépris sur le caractère de l’école de Salerne, qui semblait être sortie de terre. On n’en connaissait d’autre ouvrage que le recueil en vers intitulé Fios medicinæ ; depuis que l’on a découvert les nombreux monumens laissés par les maîtres salernitains, il n’est