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que la rive gauche de la Meuse, mais en y réfléchissant j’ai pensé que cela n’arrangerait point nos affaires. Je ne pourrais vous laisser tranquille, car tôt ou tard je veux la réunion. Aussi vaut-il mieux que je la fasse maintenant ; j’ai besoin d’une grande côte pour faire la guerre à l’Angleterre, je la veux par conséquent jusqu’au Weser. — Mais, sire, vous aviez toujours déclaré que la France ne porterait jamais ses limites au-delà du Rhin. — Cette déclaration s’applique seulement à l’Allemagne. — Alors je réitère ma demande d’aller en Hollande mettre ordre à mes affaires. — Non, dit l’empereur, qui se méfiait un peu ; d’ailleurs ma décision n’est pas encore tellement irrévocable qu’elle ne puisse être modifiée. Faites mieux, convoquez à Paris une trentaine de notables de votre royaume, conférez avec eux sur ses intérêts, et nous verrons. » Louis se souciait fort peu d’acquiescer à cette proposition. L’histoire de la junte de Bayonne était toute récente, celle de la commission batave de 1806 n’était pas oubliée. On se sépara sans rien conclure.

Un grave événement, sur le point de s’accomplir, préoccupait alors l’empereur encore plus que les affaires de Hollande ; nous voulons parler de son divorce. Lui-même énonça le désir de suspendre les discussions pendant quelques jours et traita son frère avec plus de douceur. La dissolution du lien civil qui unissait Napoléon à Joséphine fut prononcée le 15 décembre[1]. Louis suivit l’empereur à Trianon, où il s’était retiré après cette pénible séparation, et ne lui parla de rien jusqu’au 20 décembre. Il apprit alors que les troupes françaises réunies en Belgique se rapprochaient toujours plus de la Hollande, et faisaient mine d’y vouloir entrer. Il crut le moment venu de faire un sacrifice. Il offrit à l’empereur de lui céder toute l’île de Walcheren contre le grand-duché de Berg et de mettre les douanes

  1. Le roi Louis, peu de temps après son arrivée à Paris, avait lui-même soumis au conseil de famille réuni pour l’affaire du divorce impérial une demande en autorisation de divorce entre lui et Hortense. La reine y consentait aussi de son côté ; mais Napoléon ne se souciait pas du tout que son frère l’imitât encore sur ce point. C’était bien assez d’un divorce dans la famille. Louis, qui n’avait pu faire comme Napoléon un mariage d’inclination, se vit forcé de garder l’épouse qu’on lui avait imposée, et cela au moment où Napoléon se séparait de celle qui avait contribué plus que personne à un mariage avec Hortense. En de telles conjonctures, on ne saurait blâmer sévèrement Louis de ce que, parmi les membres de la famille impériale, il fut de ceux qui donnèrent le plus volontiers leur adhésion au divorce de l’empereur. Lorsque ensuite on discuta pour la forme, — car la décision de l’empereur était déjà prise, — à quelle cour souveraine on s’adresserait pour occuper la place laissée vacante par le départ de Joséphine, il opina pour une princesse saxonne plutôt que pour une autrichienne par des raisons de politique et de convenances d’âge, et plutôt que pour une princesse russe à cause de la religion. Ceci est un trait caractéristique de ce prince, aussi attaché à sa religion qu’il la connaissait mal. Avait-il oublié que son mariage avec Hortense avait reçu la consécration religieuse la plus régulière, et que l’église romaine condamne absolument le divorce ?