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que rêve M. Émile Ollivier, qui touche aux principes mêmes de la législation française, et les chambres n’ont rien à dire, elles n’ont qu’à laisser faire ! Si les chambres veulent élever la voix, on leur répondra que les questions sont pendantes, qu’il faut attendre que les affaires soient arrivées à leur terme ! Et quand tout sera fini qu’arrivera-t-il ? On votera, si l’on veut, contre le gouvernement ; mais la politique qu’on blâmera n’aura-t-elle pas eu déjà ses conséquences ? l’acte pour lequel on frappera un ministre sera-t-il moins accompli ? Chose plus grave encore, si on veut aller jusqu’au bout, ne sera-t-on pas exposé à jeter dans les relations internationales ce trouble du désaveu d’une signature, de la rétractation blessante d’un engagement contracté ? Sans doute, toutes les œuvres de la diplomatie ne s’accomplissent pas au grand jour, le gouvernement est tenu parfois à d’inviolables réserves ; mais les chambres ont assurément le droit d’exercer Leur influence, de prévenir ou de redresser une négociation, de ne point attendre que tout soit fini et irréparable pour avoir une opinion. C’est une question de mesure, et voilà pourquoi le sénat a eu raison d’arrêter au passage une doctrine qui se présentait avec un certain caractère absolu, qui ne tendait à rien moins qu’à emprisonner l’action parlementaire dans un droit de contrôle inefficace et stérile.

Ce qui achève de tout compliquer ici, c’est qu’on ne sait plus vraiment où en est cette affaire, et que le ministère, mettant pour le moins autant de diplomatie dans ses discours que dans ses négociations, s’est fait un point d’honneur de ne pas nous dire ce qui est le secret de tout le monde. M. le duc de Gramont, M. Émile Ollivier, affirment qu’on négocie encore ; le ministère espagnol disait ces jours derniers que le traité était signé, et la seule difficulté pour lui était de savoir s’il devait soumettre cet acte diplomatique à la ratification des cortès ; c’est pour cela qu’il a consulté le conseil d’état de Madrid. Nos ministres soutiennent que le visa consulaire ne suffira pas pour l’exécution des jugements espagnols en France, et c’est pourtant dans le traité. Que signifient donc ces obscurités et ces subterfuges de langage ? C’est une diplomatie fort compliquée, qui n’a eu d’autre but sans doute que de couvrir une savante retraite devant les répugnances du sénat. La vérité est qu’on assigne légèrement, hâtivement, un traité où il y avait tout ce qu’on dit, qu’on a songé un instant à se retrancher dans l’inviolabilité des prérogatives du gouvernement, mais qu’en présence d’une opposition, d’autant plus dangereuse qu’elle n’avait rien de politique, on n’a plus osé garder cette attitude hautaine ; on s’est laissé attirer dans des explications, on a eu l’air de céder, on a déguisé ce qui était, si bien qu’on se trouve maintenant placé entre une convention évidemment acceptée et un ordre du jour du sénat. Heureusement M. Émile Ollivier n’a point passé longtemps au ministère des affaires étrangères. S’il y était resté quelques mois, il eût laissé sans doute un embarrassant héritage à M. le duc de Gramont ; s’il s’y était établi définitivement, il nous eût arrangé une diplomatie de sa