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conseil législatif. Mes pensées se sont reportées à douze ans en arrière, à une époque où je luttais dans la terre de Van-Diemen contre une assemblée de ce genre… Ne pensez-vous pas que, dans une contrée que nous tenons par le sabre, admettre la moindre apparence de représentation nationale est une erreur fatale pour l’avenir, sinon pour le présent ? On me répondra qu’un conseil législatif n’est pas une assemblée représentative, et c’est la vérité à un certain point de vue ; mais les hommes qui le composent sont censés les représentans des diverses classes de la société. Leur nomination implique l’aveu que le gouvernement n’est pas compétent dans les affaires que ce conseil doit examiner.

« D’ailleurs, ajoute-t-il plus loin, pour quoi faire un conseil législatif à Madras ? La population de la présidence est d’environ 20 millions de natifs, et, sans compter les employés du gouvernement, 20,000 Européens. Ces derniers ne songent guère à s’établir en Asie. Retourner en Angleterre dès qu’ils se seront enrichis est le but de leur existence. Ils ne tiennent à rien dans le pays. L’Inde ne sera jamais une patrie pour eux. Quels droits ont-ils à être représentés dans une assemblée délibérante ? »

Le gouverneur de Madras n’était pas plus favorable à la colonisation européenne qu’à l’émancipation des Hindous. C’était au moment le plus critique de la guerre de sécession aux États-Unis. Les filateurs de Manchester, qui cherchaient du coton partout, croyaient avoir découvert dans l’Inde centrale les terres les plus propres à la production de ce précieux textile. Ils demandaient au gouvernement de construire des routes et des ports, de leur concéder de vastes superficies. Quelques années auparavant, de hardis planteurs avaient introduit sur les hauts plateaux des Neilgherries la culture du thé et du quinquina, et puis on établissait des chemins de fer en tous les sens ; des travaux d’irrigation conçus sur la plus vaste échelle étaient entrepris dans les bassins des principales rivières. La conséquence première de ce vaste mouvement d’affaires était d’amener dans la péninsule des ingénieurs, des ouvriers et des capitaux anglais. Sir William accueille-t-il avec faveur ces pionniers de la civilisation ? Au contraire il redoute l’influence qu’ils ne pourront manquer de prendre sur les affaires du pays. Des colons européens ! ils commencent par demander au budget de l’état de grosses dépenses, puis ils se répandent dans les campagnes, se disputent avec les indigènes ; aux premiers symptômes d’une insurrection, il faut envoyer des troupes pour les défendre, et l’on n’a plus assez de soldats pour les opérations actives contre les rebelles. Ce n’est pas tout, les colons anglais qui s’établissent dans l’Inde n’ont rien de plus pressé que de réclamer la jouissance de leurs droits politiques. Ils veulent être représentés dans les assemblées délibérantes