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Norfolk, de voir quantité de choses dont ils n’avaient encore nulle idée. Ils n’avaient jamais mangé de viande de bœuf ni bu de lait ; cette nourriture nouvelle leur parut étrange d’abord, puis ils s’y accoutumèrent assez vite, si bien même qu’une fois leur provision de blé épuisée, ils ne mangèrent plus que du bœuf et des pommes de terre.

Sir William, profitant, au mois de septembre 1857, de ce que le ministère venait d’être changé et que la chambre s’était prorogée pour six semaines à la demande des membres du nouveau cabinet, entreprit de faire une visite à ses sujets de Norfolk. C’est à 900 milles environ à l’est de Sydney ; l’île vue de la mer n’est pas sans attraits. Le grand et bel arbre que l’on appelle le pin de l’île Norfolk en orne le rivage ; mais il n’y a pas de port ni de rade, et ce n’est pas sans danger que les canots atterrissent par les gros temps. Doux et dociles, les insulaires avaient alors le type malais assez prononcé, pommettes saillantes, nez recourbé, lèvres minces ; ils sont sans doute encore les mêmes, car le gouvernement britannique s’est efforcé de les préserver du mélange avec des colons étrangers qui leur auraient apporté plus de vices que de bons conseils. On s’est contenté de leur envoyer un ecclésiastique, un instituteur et quelques ouvriers d’art, pour leur apprendre à cultiver la terre et à se bâtir des maisons. Les citoyens de ce petit état jouissent au surplus d’une rare liberté. Il n’y avait au début qu’un seul magistrat, élu chaque année par l’assemblée générale des habitans, hommes et femmes. L’usage de faire voter les deux sexes avait existé de tout temps dans l’île Pitcairn. La tradition s’en continua dans l’île Norfolk sans que personne y fît opposition.

A la fin de l’année 1860, sir William Denison avait achevé ses six ans de séjour dans la Nouvelle-Galles du Sud. Tout en aspirant au gouvernement d’une grande colonie, il en avait assez de ce régime parlementaire, qui le réduisait, lui, le représentant de la reine, au rôle le plus insignifiant. Un jour, il reçut avis qu’il était nommé gouverneur de la présidence de Madras. Les gouvernemens de l’Inde ont toujours été enviés par les hommes d’état de la Grande-Bretagne ; la vie y est fastueuse, le salaire magnifique ; on y commande en roi à des millions d’hommes. Ces avantages sont cependant compensés par de graves inconvéniens, dont le plus sérieux est l’ardeur du climat et son insalubrité pour de jeunes enfans. Notre gouverneur-général était chargé de famille ; ce ne fut qu’en se décidant à renvoyer en Europe ces petits êtres qui lui étaient si chers qu’il accepta le proconsulat de Madras où nous allons le suivre. L’Hindoustan ne diffère pas de l’Australie que par le climat ; c’est un autre monde, une autre population, d’autres mœurs et un autre gouvernement.