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règles habituelles de la législations métropolitaine. Les citoyens de l’Australie n’avaient pas importé avec eux les vieux préjugés de la mère-patrie ; enfans de leurs œuvres, ils tenaient peu aux dignités héréditaires, aux distinctions sociales que leurs frères d’Europe considèrent comme le palladium de l’empire britannique. Malgré ces réformes, la lutte entre le parlement et le cabinet continua encore quelque temps, quoique avec moins d’aigreur ; les trois premières années du régime parlementaire virent naître et mourir, six ministères. On pourrait être tenté d’en conclure que les Australiens étaient bien instables, ou qu’ils n’étaient pas encore murs pour le gouvernement représentatif ; mais on peut aussi faire valoir à leur décharge que l’un et l’autre parti s’abstinrent de recourir à des mesures violentes, et que ces viremens incessans de la politique ne nuisaient pas après tout à l’expédition des affaires courantes, car dans ces premières années on élabora nombre de lois utiles que la Nouvelle-Galles du Sud réclamait depuis longtemps.

Le rôle de sir William Denison, un peu effacé pendant cette période d’agitation parlementaire, ne fut pas cependant sans mérite. Malgré ses habitudes de commandement militaire, en dépit des prérogatives presque absolues dont il avait joui dans l’île de Van-Diemen, il eut l’esprit de prendre au sérieux la position négative de chef d’un gouvernement représentatif. On ne put l’accuser de montrer plus de bienveillance à l’un qu’à l’autre des deux partis qui se disputaient le pouvoir. Il disait adieu aux ministres sortans du même air qu’il souhaitait la bienvenue aux ministres entrans[1]. Ce n’est pas à dire toutefois qu’il fût un témoin indifférent. Il s’en explique dans ses lettres avec une franchise dont il s’abstenait sans doute à l’égard de ses administrés. « Vous recevrez par ce courrier, écrit-il au sous-secrétaire d’état des colonies, le compte-rendu officiel de l’organisation d’un gouvernement responsable. Le duc de Newcastle, alors ministre des colonies, définit cela le gouvernement par partis. Je lui ai répondu que nous n’avons pas ici de partis, et que la seule théorie politique en discussion est république ou monarchie… On se renvoie d’un côté à l’autre de la chambre les mots de « constitutionnel » ou « inconstitutionnel ; » mais au fond chaque orateur n’a, dans l’esprit qu’une question personnelle : « pourquoi ne suis-je pas membre du gouvernement au lieu de monsieur un tel ? » Une autre fois c’est lady Denison qui mentionne dans son journal les événemens politiques. « Les difficultés qu’éprouve le ministère ont abouti à une dissolution du parlement, et maintenant on procède, aux

  1. Sir William Denison n’enregistre même pas dans ses mémoires tous les incidens de ces luttes parlementaires. Nous en avons emprunté le récit à l’Histoire de la Nouvelle-Galles du Sud, par M. Flanagan, compilation bien faite où les événemens de chaque jour sont en quelque sorte photographiés.