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L’immigration volontaire devenait-elle abondante, la main-d’œuvre était à bon marché, et l’on se plaignait des convicts. Les ouvriers étaient-ils rares, les propriétaires ruraux étaient charmés de trouver dans les dépôts pénitentiaires des manœuvres peu exigeans sous le rapport du salaire et de la nourriture. En outre les ateliers publics, largement recrutés par cette population suspecte, avaient accompli des travaux remarquables que les autres provinces australiennes enviaient à la Tasmanie. Dès cette époque, il y avait du nord au sud de l’île, de Launcestown à Hobartown, une excellente route de 200 kilomètres, maintenue toute l’année en bon état d’entretien. On avouait en conscience que, si la transportation était suspendue sans que le gouvernement métropolitain prît des mesures pour favoriser l’immigration libre, la colonie, réduite à ses seules ressources, se trouverait dans une passe difficile.

Les colons se plaignaient bien d’autre part que les convicts fussent des serviteurs insupportables. Paresseux, ivrognes, négligens, voleurs, on leur accordait tous les vices ; mais n’était-ce pas en partie la fâcheuse conséquence du régime auquel ces malheureux étaient soumis ? Le gouvernement lui-même les traitait avec trop de dureté. Qu’on en juge par un détail. Les nouveau-venus dont le caractère n’était pas encore éprouvé et ceux qui avaient été jugés incorrigibles après un plus long séjour étaient confinés dans la péninsule de Tasman, qu’une langue de terre de très faible largeur rattache à la terre ferme. Ils y étaient répartis entre plusieurs stations agricoles, par catégories autant que possible ; mais ces stations étaient si mal organisées qu’elles ne produisaient même pas assez de légumes pour la subsistance des prisonniers. Les surveillans les traitaient tous avec une égale rigueur, sans avoir le tact de discerner les bons des mauvais ; l’enseignement religieux, confié à un seul ecclésiastique pour une population de plusieurs milliers d’hommes, était presque nul. La péninsule, entourée par l’océan, ne permettait pas de songer à une évasion ; l’isthme étroit par lequel elle tenait à l’île principale était protégé d’une façon que l’on peut trouver barbare. A des pieux fichés en terre de distance en distance, éclairés par des lanternes pendant la nuit, étaient attachés des chiens qui auraient sauté à la gorge des fugitifs. En somme, c’était le système pénitentiaire le moins propre à ramener à de meilleurs sentimens les hommes que l’on y soumettait.

La situation se compliqua peu de temps après par l’arrivée de condamnés irlandais, Smith O’Brien, Meagher et d’autres, qui étaient transportés pour des motifs politiques. Aux yeux de leurs compatriotes, ces hommes étaient des martyrs et non des criminels. Au reste, les instructions envoyées au lieutenant-gouverneur par le