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monument à la mémoire du philosophe dont Buckingham avait fait un des maîtres de Charles II.

Nous concevons l’intelligence que peut trouver le hobbisme dans l’affaiblissement servile des esprits abattus par l’épreuve des révolutions. Cependant il heurtait à la fois trop de préjugés respectables et d’opinions généreuses pour ne pas rencontrer beaucoup d’adversaires. On a vu qu’à la première lecture du Leviathan lord Clarendon avait pris la plume. Il n’imprima rien dans le moment même, et il donne pour motif qu’on ne pouvait raisonnablement espérer qu’une réponse fût possible à l’instant de la publication ; « c’eût été disputer avec un homme qui commandait à trente légions. » On voit que le prudent chancelier regardait alors Hobbes comme un satellite de Cromwell. Et à la suite de la restauration il aurait cru peu généreux de le rechercher, pour ce qu’il pouvait avoir écrit en des temps mauvais. Ce ne fut donc qu’assez tard, lorsque, exilé lui-même par une des plus noires ingratitudes royales que signale l’histoire, il ne pouvait être soupçonné d’abuser de sa position contre le faible, que Clarendon termina à Moulins un opuscule imprimé par l’université d’Oxford en 1676. Il le dédia au roi comme un témoignage de sa fidélité dans l’exil. Il se croyait encore obligé de dénoncer des erreurs aussi dangereuses pour l’état que pour l’église. Clarendon a exprimé ailleurs beaucoup d’estime pour le caractère et les talens de Hobbes ; mais cependant il rappelle au roi qu’il avait souvent essayé d’obtenir de lui qu’il lût le Leviathan, bien assuré qu’il ne l’aurait pas plus tôt lu qu’il l’aurait détesté. La nouveauté et l’agrément des expressions, la hardiesse des pensées, le goût régnant pour le paradoxe, la réputation d’esprit de l’auteur, son assurance dans la conversation, avaient pu seuls prêter une apparente innocence à des maximes dont une lecture attentive aurait dévoilé tout le danger. Ceci montre que le roi et la cour n’avaient pas échappé à cette indulgence ou à cet engouement.

Déjà avant Clarendon l’église avait pris l’alarme. L’évêque Bramhall avait attaqué Hobbes avec succès, particulièrement sur la question du libre arbitre. Seth Ward, Robert Sharrock, Samuel Parker, le poursuivirent de leurs critiques. Wallis ne laissa ni paix ni trêve à ses prétentions mathématiques. Avant d’être archevêque de Cantorbery, Tenison lui avait demandé compte de sa foi ; mais des critiques dont le nom doit trouver place dans l’histoire de la philosophie étaient déjà à plusieurs reprises entrés en lice. L’université de Cambridge en particulier fournit à Hobbes de remarquables adversaires. « Le philosophe de Malmesbury était la terreur du dernier siècle, dit Warburton, et tout jeune clerc voulait essayer ses armes sur son casque d’acier. »