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passe des organes au cerveau et réagit du cerveau sur les organes. Tant que toutes ces opérations se rapportent au dehors, elles sont du ressort de la conception, et dès que ce mouvement cesse d’être présent, elles passent dans l’imagination, qui les représente ; mais la réaction peut se faire du cerveau sur le cœur : alors les facultés affectives entrent en jeu, et une certaine impulsion est imprimée au corps en raison du plaisir ou de la douleur qu’il a ressentie. Là est l’origine de tous les sentimens moraux. L’agréable et le désagréable, voilà le bien et le mal, car tout homme appelle bien ce qui lui plaît, mauvais ce qui lui déplaît. Malgré la gravité d’une telle assertion, Hobbes ne pouvait s’en dispenser. Elle découle nécessairement de sa philosophie générale, pour laquelle tout est relatif. « Tous les accidens, toutes les qualités, dit-il dans son Traité de la nature humaine, que nos sens nous font croire existant dans le monde, n’y sont point réellement, mais ne doivent être regardés que comme des semblans et des apparences. Les choses qui existent réellement dans le monde hors de nous sont les mouvemens par lesquels ces apparences sont produites. »

La morale que Hobbes établit sur ces bases ne laisse aucune place en fait à la liberté et à la volonté, en droit à la vérité absolue d’une règle obligatoire. La liberté n’est que la délibération entre l’appétit et son contraire ; elle est la même dans l’homme et dans la brute, si on la conçoit comme la faculté de vouloir et de faire ce qu’on veut ; mais, si on entend la soustraire à la nécessité, elle ne se rencontre pas plus dans l’homme que dans la brute. L’homme ainsi fait n’est pas naturellement sociable. Aristote a eu tort de l’appeler un animal politique, la société n’existe que par convention. Dans la nature, l’homme ne songe qu’à lui-même, c’est-à-dire à son bien, c’est-à-dire à son plaisir, et pour conserver le premier des biens, la vie, pour acquérir ceux qu’il désire, rien ne lui est interdit ; tous les hommes ayant la même nature et les mêmes droits, chacun d’eux peut faire tout ce qu’il veut. L’état de nature est un état de guerre. L’homme est l’ennemi de l’homme. Il ne connaît d’autre droit que la liberté physique d’employer ses facultés comme il l’entend ; mais l’obstacle que rencontre cette liberté dans celle des autres, les dangers de la guerre lui font sentir le besoin de la paix, et dans l’intérêt de la paix il comprend la nécessité de renoncer à son droit à toutes choses, à sa liberté illimitée. De là la convention originelle de laquelle résulte la société et avec elle le gouvernement, car l’institution de la société a pour raison la nécessité d’une force, d’un pouvoir qui établisse et maintienne la paix. Ce pouvoir est souverain, puisque c’est à l’abandon de tous les droits, de toutes les libertés qu’il emprunte son titre. De lui procèdent le