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toute la subtilité de sa déduction, car là éclate l’ingénieuse fécondité d’un esprit inépuisable en hypothèses et en argumens. Peut-être, pour le connaître, suffirait-il d’un extrait fidèle de son court Traité de la nature humaine ou Elémens fondamentaux de la politique. Ce titre caractérise déjà une philosophie où la psychologie même n’a que la politique pour but. L’ouvrage est un chef-d’œuvre d’exposition méthodique, de raisonnement spécieux et de cette sophistique lumineuse qui enveloppe l’erreur d’un faux éclat de vérité ; mais, je le répète, il faudrait une analyse minutieusement exacte pour rendre une pleine justice à l’esprit de Hobbes, et sa doctrine ne la mérite pas. Reposons-nous du soin de la discuter sur Buhle, sur Hallam, sur Damiron ; bornons-nous à en indiquer les traits généraux, et saluons d’abord en lui le plus décidé et le plus conséquent partisan de ta doctrine qui dérive toute connaissance de la sensation. Tout repose, à ses yeux, sur ce mouvement qui reproduit en nous les qualités des corps : non que la sensation constitue toute la connaissance, car elle constituerait alors toute la philosophie ; la sensation, dit-il, nous est commune avec les animaux ; l’homme y ajoute le raisonnement, ratiocinatio. La sensation nous présente un objet, c’est-à-dire un corps, il n’y a pas d’autres objets. La substance incorporelle est une expression contradictoire. « Rien, dit Tertullien, n’est incorporel que ce qui n’est pas » » Un esprit n’est qu’un corps naturel assez subtil pour échapper à nos sens ; mais le corps sensible produit en nous avec une sensation une conception, ou plutôt ce sont deux noms d’une seule et même chose. La mémoire rappelle la sensation, l’imagination la représente par une image. L’expérience est la mémoire de plusieurs choses ou plutôt de plusieurs sensations. Ce n’est pas encore là la science. Un corps est vu ; voilà une première sensation et puis une première image. Ce corps se meut, il est animé, il parle, il est raisonnable. C’est par l’addition de toutes ces connaissances que le raisonnement nous donne l’idée d’homme, comme le raisonnement, par un procédé inverse, nous ferait redescendre de l’homme au simple corps visible, qui en se dérobant à la vue viendrait à rien. Tout raisonnement est donc addition ou soustraction, et la logique est un calcul, computatio ; cette idée, qui dans ce qu’elle a de vrai est de peu de valeur, et qui n’est importante que parce qu’elle autorise Hobbes à porter en toutes choses la méthode des mathématiques, ne l’empêche pas de comprendre et d’accepter le syllogisme. Et en effet le syllogisme n’a rien de contraire aux mathématiques. Hobbes est donc moins hostile que Bacon à la logique d’Aristote, quoiqu’il le soit beaucoup à sa métaphysique et même à sa politique.

Les notions qui sont l’œuvre d’un raisonnement et que le calcul logique ajoute ou retranche sont liées en fait par la sensation, la