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sais comment au clergé de son pays, aux mathématiciens d’Oxford et à leurs adhérens ; c’est pourquoi sa majesté me le compara très bien à l’ours contre lequel il fait battre les dogues pour les exercer. » Il est difficile de trouver que Hobbes ait rien de la manière et du style de Bacon, auquel il n’a emprunté que le goût de l’expérience et de la physique ; mais on ne peut douter qu’il n’eût, ainsi que le lord chancelier, l’air et le langage de l’homme comme il faut, tandis que son antagoniste, le docteur Wallis, avait bien moins que lui du galant homme. « Si vous le voyiez, dit encore Sorbière, avec son bonnet plat sur la tête, comme s’il y avait mis son portefeuille après l’avoir couvert de drap noir et cousu à sa calotte, vous auriez autant envie de rire à ce plaisant spectacle que vous concevriez d’estime et d’affection pour la prestance et la civilité de mon ami. »

Le pédant professeur n’en contraignit pas moins le gentleman philosophe à plus d’un effort de polémique défensive, et même à une apologie de ses sentimens politiques et religieux (1662), et le ton de ces réponses ne fut pas toujours celui du monde élégant. Ces attaques et celles d’une partie du clergé séparèrent de la cour et de la ville un penseur plus fait pour la solitude que pour le commerce des hommes. Sans irritation contre l’injustice de son propre parti, suspect à l’église qu’il n’avait pas ménagée, négligé du gouvernement, qui le trouvait compromettant, Hobbes passa dans la retraite les longues années de sa vieillesse, et pendant les cinq dernières de sa vie il ne quitta point la campagne, probablement les demeures hospitalières des Cavendish. Il ne cessa pas d’ailleurs d’écrire et de publier. Il donna une édition de ses œuvres philosophiques, puis y ajouta divers essais littéraires, comme sa propre biographie en vers latins, et une traduction d’Homère en vers anglais.

Singulières disparates des gens d’esprit ! l’absolu logicien épris jusqu’à l’infatuation de l’abstraction géométrique, celui qui n’a écrit que pour décourager l’imagination et décrier l’idéal ne trouve rien de plus à son gré, pour employer ses quatre-vingts ans, que de se rajeunir aux sources vives de l’Iliade et de l’Odyssée. La plus riche imagination de poète qui fut jamais devient le modèle inaccessible dont par un travail obstiné le plus aride des analystes cherche à dérober les traits et les couleurs. Avec quel succès ? on le prévoit bien. Une versification sèche et précise, sans facilité, sans harmonie, qui ressemble à la poésie comme le dessin linéaire à la peinture, peut bien prouver un écrivain maître de sa langue ; mais. celui qui n’avait pas su être le disciple de Platon ne pouvait pas devenir le confident d’Homère. On doit cependant savoir gré à Hobbes île cette fidélité savante aux lettres antiques, qui le fit commencer par le premier des historiens de la Grèce et finir cinquante ans après par le premier de ses poètes. Il avait aussi composé un dialogue