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égards pour faire certaines choses sans mon conseil. Je serai obligé de vous désavouer. J’ai demandé la pièce du rétablissement de la noblesse. Attendez-vous à une marque publique de mon excessif mécontentement.

« Ne faites aucune expédition maritime, la saison est passée. Levez des gardes nationales pour défendre votre pays. Soldez mes troupes. Levez beaucoup de conscrits nationaux. Un prince qui, la première année de son règne, passe pour être si bon, est un prince dont on se moque à la seconde. L’amour qu’inspirent les rois doit être un amour mâle, mêlé d’une respectueuse crainte et d’une grande opinion d’estime. Quand on dit d’un roi que c’est un bon homme, c’est un règne manqué. Comment un bon homme ou un bon père, si vous voulez, peut-il soutenir les charges du trône, comprimer les malveillans et faire que les passions se taisent ou marchent dans sa direction ? La première chose que vous deviez faire et que je vous avais conseillée, c’était d’établir la conscription. Que faire sans armée, car peut-on appeler une armée un ramassis de déserteurs[1] ? Comment n’avez-vous pas senti que, dans la situation où est votre armée, la création des maréchaux était une chose inconvenante et ridicule ? Le roi de Naples n’en a point. Je n’en ai pas nommé dans mon royaume d’Italie. Croyez-vous que, quand quarante vaisseaux français seront réunis à cinq ou six barques hollandaises, l’amiral Ver Huell par exemple, en sa qualité de maréchal, puisse les commander ? Il n’y a pas de maréchaux dans les petites puissances, il n’y en a pas en Bavière, en Suède. Vous comblez des hommes qui ne l’ont pas mérité. Vous marchez trop vite et sans conseils ; je vous ai offert les miens ; vous me répondez par de beaux complimens, et vous continuez à faire des sottises.

« Vos querelles avec la reine percent aussi dans le public. Ayez dans votre intérieur ce caractère paternel et efféminé que vous montrez dans le gouvernement, et ayez dans les affaires ce rigorisme que vous montrez dans votre ménage. Vous traitez une jeune femme comme on mènerait un régiment. Méfiez-vous des personnes qui vous entourent ; vous n’êtes entouré que de nobles. L’opinion de ces gens-là est toujours en raison inverse de celle du public. Prenez-y garde : vous commencez à ne plus devenir populaire à Rotterdam ni à Amsterdam. Les catholiques commencent à vous craindre. Comment n’en mettez-vous aucun dans les emplois ? Ne devez-vous pas protéger votre religion ? Tout cela montre peu de force et de caractère. Vous faites trop votre cour à une partie de votre nation ; vous indisposez le reste. Qu’ont fait les chevaliers auxquels vous avez donné des décorations ? Où sont les blessures

  1. Louis en effet avait enrégimenté un certain nombre de déserteurs allemands et polonais qui lui avaient offert leurs services. Cela n’empêche pas que les troupes hollandaises se battirent bien à Friedland et ailleurs. Voyez le récit de la bataille de Friedland dans Thiers, Histoire du consulat et de l’empire, t. VII, p. 593-613.