Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si l’on n’ajoutait, à l’appui de ce récit, qu’une estacade en pilotis serrés s’avançait vers la mer, et prolongeait ainsi sur la barre le courant fluvial. On n’a trouvé aucun vestige de cet ouvrage, dont plus d’un ingénieur met en doute l’existence passée. Quoi qu’il en soit, et si l’œuvre de la herse a jamais produit l’effet qu’on lui attribue, on pourrait difficilement l’expliquer sans la digue qui lui servait d’auxiliaire. Livré à lui-même, après avoir dépassé les rives qui en activaient la vitesse, le courant du fleuve n’a plus assez de force pour imprimer un mouvement de translation marqué aux matières agitées par les herses et par les chaînes. Il arrive souvent, après les crues, que ce courant est presque nul, et l’on constate même parfois, en dehors de la barre, un contre-courant assez sensible. Le curage par la drague n’est efficace que là où le travail des auges est protégé contre la houle soit par une baie plus ou moins fermée, soit par des bancs voisins sur lesquels la vague s’amortit. Les côtes de la mer Baltique offrent notamment cet avantage devant les embouchures de l’Oder et de la Vistule. Dans les rades ouvertes, comme celle du Danube, le dragueur, qui fonctionne presque toujours imparfaitement, est exposé à de fréquentes interruptions ; un ouragan anéantit en quelques heures le travail de plusieurs semaines, et si, voulant proportionner l’effort à l’inertie du fleuve parvenu au terme de sa course, on employait dans un étroit chenal plusieurs machines à la fois, le passage régulier des navires y deviendrait impossible.

Un système plus rationnel se présente et semble s’imposer par sa simplicité même au choix des ingénieurs ; il consiste à forcer le fleuve à travailler lui-même au creusement de son lit maritime en portant son courant sur la barre avec toute sa force au moyen de digues parallèles. On tend ainsi à produire entre les rives artificielles une chasse qui doit avoir la même action qu’entre les rives naturelles, et qui conduit dans les profondeurs du large les matières accumulées devant l’embouchure. Cependant les digues longitudinales sont loin de constituer une œuvre parfaite, car elles laissent subsister la cause première de la formation des barres. Le bon sens indique en effet que le banc qui existait devant l’embouchure primitive se reformera tôt ou tard en face de l’orifice nouveau. Le seul remède à cet inconvénient est de prolonger les digues suivant le relèvement du fond.

L’encaissement du courant fluvial dans la mer a réussi à l’embouchure de l’Oder, où il a porté de 7 à 18 pieds et même, sur un étroit parcours, à 24 pieds le niveau du chenal. Cette profondeur s’est maintenue à peu près invariable pendant trente-trois ans. Il convient de noter ici, pour ne négliger aucun des élémens de la