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repousse au contraire la campagne italienne. Poussin est vrai jusque dans ces détails qui paraissent des effets de l’art. A la Via Appia, en contemplant dans le lointain la longue file des arches de l’aqueduc de Claude, j’ai reconnu ses solitudes, rendues éloquentes par le passage des héros ; au Ponte-Molle et au Monte-Sagro, j’ai vu ses nobles campagnes silencieuses, séjour de rares dryades, troublé de temps à autre, — mais combien discrètement ! — par quelque petit berger au sérieux visage qui ramène ses troupeaux avec un recueillement discret. Et que de fois, en tournant mes regards du côté de la Sabine, j’ai reconnu ses horizons de collines moelleuses comme un amas de ouate, et qui semblent se dissoudre sous la lumière comme pour laisser jaillir les dieux. Un soir, en revenant des thermes de Caracalla, je suis entré dans une prairie qui s’étend derrière la villa Mattei, et en contemplant les étages des terrasses du jardin sous le soleil couchant il m’a semblé voir l’admirable dernier plan du grand paysage où l’artiste a représenté Diogène aux bords du fleuve. Je dis qu’il est vrai jusque dans les plus petits détails ; avec quel plaisir, par exemple, j’ai rencontré au beau milieu du Teverone ce saule robuste que l’on voit souvent pousser comme une digue verdoyante dans les cours d’eau de ses paysages ! Il est tellement vrai que, vu à Rome, où la nature offre de toutes parts les spectacles dont il s’est inspiré, il paraît moins grand que vu à Paris, et cependant les galeries de Rome, surtout la galerie Doria, contiennent nombre de beaux paysages empreints de cette largeur, de ce calme robuste, et, si j’ose ainsi parler, de cette dignité que seul il a su donner à la nature.

Poussin dota l’Italie du paysage historique ; mais le sentiment de la nature est si peu dans le génie italien, qu’il ne sut que faire du cadeau. C’est chose remarquable en effet que cette indifférence des Italiens pour la nature, et la petite place qu’elle tient dans leurs conceptions. Jamais elle ne fut pour eux qu’un encadrement ou un accessoire. Elle se montre çà et là dans les maîtres primitifs, acquiert une petite importance chez quelques maîtres de l’école d’Ombrie, joue un certain rôle dans quelques, tableaux de Raphaël, la Vierge de Foligno par exemple, et c’est tout. Ce n’est qu’avec l’école de Bologne, avec le Dominiquin, surtout avec Annibal Carrache, qu’elle laisse entrevoir l’ambition d’échapper à la tyrannie exercée par la beauté humaine, et d’appeler pour son compte l’admiration ; mais, pour faire aboutir cette ambition si combattue par les habitudes traditionnelles, il fallut un étranger, libre de la contrainte du génie italien. Or il est curieux de voir combien le paysage historique dégénéra rapidement du vivant même du Poussin et sous ses propres yeux. Nicolas Poussin eut pour beau-frère, un